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LIVRE I. — PARTIE I.

mer, et ledit messire Hervé si tourmenté qu’oncques depuis il n’eut santé. Toute voie, à grand meschef, au quinzième jour les mariniers prirent terre au Crotoy. Si vint tout à pied messire Hervé jusques à Abbeville. Là se montèrent ; mais ledit messire Hervé étoit si travaillé qu’il ne pouvoit souffrir le chevaucher ; et se mit en une litière, et vint à Paris, devers le roi Philippe et fit son message et bien à point. Depuis, si comme j’ai ouï recorder, ne vécut-il pas longuement mais mourut en allant en son pays en la cité d’Angiers : Dieu en ait l’âme par sa sainte pitié et miséricorde !


CHAPITRE CCXV.


Comment le roi d’Angleterre ordonna le comte Derby capitaine et souverain pour aller en Gascogne, et messire Thomas d’Angorne pour aller en Bretagne conforter la comtesse de Montfort.


Or approcha le jour Saint-George que cette grande fête devoit tenir au châtel de Windesore[1], et y fit le roi grand appareil ; et y furent du royaume d’Angleterre comtes, barons et chevaliers, dames et damoiselles ; et fut la fête moult grand’ et moult noble, bien fêtée et bien joutée, et dura par l’espace de quinze jours. Et y allèrent plusieurs chevaliers de deçà la mer, de Flandre, de Hainaut, de Brabant ; mais de France n’en y eut nul. La fête durant et séant, plusieurs nouvelles vinrent au roi de plusieurs pays, et par espécial lui vinrent chevaliers de Gascogne, le sire de l’Esparre, le sire de Chaumont et le sire de Mucident, envoyés de par les autres barons et chevaliers qui pour le temps de lors se tenoient anglois, comme le sire de Labret, le seigneur de Pommiers, le seigneur de Montferrant, le seigneur de Landuras, le seigneur de Curton, le seigneur de Langueran, le seigneur de Grailli, et plusieurs autres, tous en l’obéissance du roi d’Angleterre, et aussi de par la cité de Bordeaux et de celle de Bayonne. Si furent les dits messagers moult bien venus, bien

  1. Froissart confond la première fête de la Table-Ronde, qui se tint en l’année 1344, comme on l’a dit ci-dessus, avec la seconde qui se tint en 1345 ; ce qui fait qu’il se trouve en retard d’une année entière pour la chronologie. Tous les historiens contemporains, d’accord avec les monumens, placent les faits qu’on va lire sous l’année 1345. Ce ne fut en effet que le 24 avril de cette année qu’Édouard déclara la trêve rompue et donna ordre à Guillaume de Bohun, comte de Northampton, qu’il établit son lieutenant dans le royaume de France, de défier Philippe de Valois et de le poursuivre, comme violateur de la dite trêve, usurpateur des droits légitimes du monarque anglais et son ennemi capital. Il le défia ensuite lui-même publiquement par ses lettres en forme de manifeste, du 14 juin de cette même année 1345. Les voici telles qu’on les trouve dans Robert d’Avesbury, p. 114 et suivantes :

    « Rex, omnibus ad quos præsentes litteræ pervenerint, salutem. In publicam non ambigimus noticiam devenisse qualiler celeris (celebris) memoriæ Carolo rege Franciæ, fratre serenissimæ dominæ Isabellæ reginæ Angliæ, matris nostræ, viam universæ carnis ingresso, dictoque regno ad nos, ut ad proximum heredem malsculum dicti regis tunc in humanis agentem, incommutabiliter devoluto, dominus Philippus de Valesio, filius avunculi dicti regis, et sic ipsum in gradu remociori consanguinitatis attingens, dictum regnum, dum eramus in annis junioribus constituti, sibi per potenciam contra Deum et justiciam usurpavit et sic illud detinet occupatum, invadens ulterius, vastans et occupans terras nostras in ducatu nostro. Aquitaniæ, et contra nos Scotis rebellibus nostris se adjungens, et alias in nostri et nostrorum subversionem tam in terra quam in mari laborats (laborans) perjuribus et innitens. Et licet nos, pro vitandis dampnis inæstimahilibus quæ timentur ex commocione guerræ inter nos et ipsum posse verisimiliter provenire, optulerimus præfato Philippo plures amicabiles vias pacis, non sine magno nostrorum jurium detrimento, ut sic contra blasphemos nominis in sancto passagio transmarino possemus, sicut cupimus, intendere guerræ Christi qui negligenter (negligilur), proth dolor ! in ignomimiam non modicam miliciam Christianæ ; ipse cum vulpina caliditate diu sub incerto nos protrahens, nichil nobis facere voluit in effectu, sed semper prudentibus simulatis tracta tibus cumilavit (cumulavit) per amplius mala malis. Propter quod domum Dei qui nobiscum in devolucione dicti regni suam mirificavit graciam nolentes negligere, sed volentes, ut convenit, circa recuperanda et defendenda jura noslra hereditaria, sub spe cælestis auxilii et justitiæ nostræ fiducia, laborare, ex quo per oblatas vias pacificas perficere nequivimus, impellente necessitate, vim armatam induimus, venientes Britanniam pro reformandis illatis, propulsandis et inferendis nobis per eum injuriis et juribus nostris hereditariis optinendis ; volentes pocius ad succursum nobis adhærencium sibi patenter occurrere, quam comminata nobis pericula in laribus expectare. Et cum ibidem in expedicione guerræ nostræ ageremus, supervenerunt venerandi paires P. Penestrinus et A. Tusculanus episcopi, cardinales sanctissimi in Christo patris nostri domini papæ Clementis sexti et sedis apostolicæ nuncii, de treugis cum præfato Philippo ad tempus, infra quod coram dicto domino summo pontifice tractari posset de pace finali, ineundis, ex parte ejusdem pontificis nos rogantes, adicientes quod præfatus summus pontifex crederet invenire viam per quam pax posset comode reformari, sub spe pacis bonæ per sanctam mediacionem suam faciendæ, specialiter ob ipsius dicti summi pontificis dictæ que sedis reverentiam consentimus dictis treugis, et propter hoc nuncios cum potestate sufficienti ad suam præsenciam destinavimus, fueruntque