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LIVRE I. — PARTIE I.

battre le convenoit. Si pouvoient être les Anglois et les Bretons de la comtesse de Montfort environ deux mille cinq cents hommes d’armes et six mille archers et quatre mille hommes de pied : les François étoient quatre tels tant, et tous gens d’étoffe et bien appareillés.


CHAPITRE CCXI.


Comment le pape Clément VI envoya deux cardinaux en légation en Bretagne ; et comment les dits cardinaux firent trêves à trois ans entre le roi d’Angleterre et le duc de Normandie.


Moult furent ces deux osts devant Vennes beaux et grands ; et avoit le roi d’Angleterre bâti son siége par telle manière que les François ne pouvoient venir à lui par nul avantage. Depuis que le duc de Normandie fut là venu, ne fit point le roi d’Angleterre assaillir la cité de Vennes, car il vouloit épargner ses gens et son artillerie. Ainsi furent-ils l’un devant l’autre un grand temps et bien avant en l’hiver[1]. Si y envoya le pape Clément VI, qui régnoit pour le temps, deux cardinaux en légation, le cardinal de Prenestes[2], et le cardinal de Clermont[3], qui souvent chevauchèrent de l’un ost à l’autre, pour accorder ces parties : mais ils les trouvèrent si durs et si mal descendans à accord, qu’ils ne les pouvoient approcher de nulle paix. Ce traité durant il y avoit souvent des issues et des escarmouches et des poingnis l’un sur l’autre, ainsi que les fourriers se trouvoient. Si en y avoit des pris et des rués jus ; et n’osoient les Anglois par espécial aller en fourrage, fors en grand’compagnie ; car toutes fois qu’ils chevauchoient ils étoient en grand péril pour les embûches que on mettoit sur eux. Avec tout ce, messire Louis d’Espaigne et sa route gardoient si soigneusement le pas de la mer que à trop grand mésaise venoit rien en l’ost des Anglois ; et y eurent moult de disettes. Et étoit l’intention du duc de Normandie et de ses gens qu’ils tenoient là pour tout assiégé le roi d’Angleterre et son ost ; car bien savoient qu’ils avoient grand’nécessité de vivres. Et les eussent tenus voirement en grand danger : mais ils étoient aussi contraints du froid temps, car nuit et jour il pleuvoit sur eux, qui leur fit moult de peines, et perdirent la plus grand’partie de leurs chevaux ; et les convint déloger et traire sur les champs, pour la grand’foison d’eau qui étoit éparse en leurs logis. Si regardèrent les seigneurs qu’ils ne pouvoient longuement souffrir celle peine. Si commencèrent les cardinaux à traiter pour avoir trêves à durer trois ans. Ce traité passa ; et furent là les trêves données et accordées entre ces parties à durer trois ans tous accomplis ; et les jurèrent le roi d’Angleterre et le duc de Normandie à non enfreindre[4].


CHAPITRE CCXII.


Comment le sire de Cliçon, le sire de Malestroit et son fils et plusieurs autres chevaliers et escuyers furent accusés de trahison et mis à mort de par le roi de France.


Ainsi se défit cette grand’assemblée, et se leva le siége de Vennes, et se retrait le duc de

  1. Philippe de Valois alla lui-même en Bretagne peu après le duc de Normandie, suivant la plupart des historiens contemporains, et s’avança jusqu’à Ploërmel, d’où il envoya un héraut au roi d’Angleterre pour lui offrir le combat qu’Édouard n’accepta point.
  2. Pierre des Prez, d’abord archevêque d’Aix, puis évêque de Preneste, autrement Palestrine, chancelier de l’Église romaine, etc.
  3. Froissart veut vraisemblablement parler d’Étienne Aubert, évêque de Clermont, fait cardinal par Clément VI, la première année de son pontificat ; mais les auteurs des vies de ce pape publiées par Baluze, qualifient ce légat évêque de Tusculum ou de Frascati, qualification qui désigne le cardinal Annibal Ceccano, dont il a déjà été question plusieurs fois. Les deux légats arrivèrent à Dol vers le milieu de décembre 1342, d’où ils se rendirent à Vannes le 21 du même mois. Après avoir négocié pendant quelque temps avec Philippe de Valois et Édouard, et les avoir exhortés à la paix, ils les firent consentir à une suspension d’armes et à envoyer des ambassadeurs à Malestroit pour régler les articles de la trêve qu’ils leur proposaient. Eudes, duc de Bourgogne, et Pierre, duc de Bourbon, s’y trouvèrent pour le roi de France ; Henri, comte de Lancastre, Guillaume de Bohun et Guillaume de Montagu pour le roi d’Angleterre.
  4. Ce traité fut conclu à Malestroit le 19 janvier 1343. Il porte en substance que les rois de France et d’Angleterre enverront à Avignon, vers la fête de saint Jean, des ambassadeurs pour traiter de la paix, en présence du pape ; qu’il y aura trêve jusqu’à la fête de saint Michel 1346 entre les deux rois, celui d’Écosse, le comte de Hainaut, les Flamands et leurs alliés ; que cette trêve sera observée en Bretagne entre Charles de Blois et le comte de Montfort, sans préjudice de leurs droits, et sans que la trêve générale fût censée rompue, quand l’un des deux ferait quelque entreprise sur l’autre, pourvu que ni l’un ni l’autre des deux rois ne s’en mêlât, etc. Charles de Blois, usant de la liberté qui lui était réservée par ce dernier article, continua de faire la guerre à la comtesse de Montfort dans certains cantons, tandis que dans d’autres la trêve fut religieusement observée.