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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tant de barons et de chevaliers de Normandie, d’Auvergne, de Berry, de Limousin, d’Anjou, du Mayne et de Poitou et de Xaintonge, que jamais je ne les aurois tous nommés. Et encore croissoient-ils tous les jours, car le roi de France renforçoit son mandement, pour ce qu’il avoit entendu que le roi d’Angleterre étoit si efforcément venu en Bretagne. Ces nouvelles vinrent aux seigneurs d’Angleterre qui séoient devant Nantes, que le roi y avoit laissés, que le duc de Normandie venoit là pour lever le siége, ainsi que on l’espéroit ; et avoit bien en sa compagnie quarante mille hommes. Ces seigneurs le signifièrent hâtivement au roi d’Angleterre, à savoir quelle chose il vouloit qu’ils fissent, ou si ils les attendroient, ou s’ils se retrairoient. Quand le roi d’Angleterre entendit ces nouvelles, il fut moult pensif, et eut une espace une imagination et propos de briser son siége[1], et aussi celui de Rennes, et de soi retraire devant Nantes. Depuis fut-il conseillé autrement ; et lui fut dit ainsi : qu’il étoit en bonne place et forte et près de sa navie, et qu’il se tînt là, et attendit ses ennemis, et mandât ceux de Nantes, et laissât encore le siége devant Rennes ; car ils n’étoient mie si loin de lui qu’il ne les confortât et r’eût bientôt, si mestier étoit.

À ce conseil se tint et accorda le roi d’Angleterre ; et furent mandés ceux qui séoient devant Nantes, et s’en revinrent au siége devant Vennes. Et le duc de Normandie, et les barons de France exploitèrent tant qu’ils vinrent en la cité de Nantes, où messire Charles de Blois et grand’foison des chevaliers de Bretagne étoient, qui le reçurent à grand’joie. Si se logèrent les seigneurs en la cité, et leurs gens environ sur le pays ; car tous n’eussent pu être logés dedans la cité ni ès faubourgs, si grand nombre étoient-ils là venus.


CHAPITRE CCX.


Comment le duc de Normandie se partit de Nantes et s’en alla à Vennes ; et comment le roi anglois manda à ceux qui étoient au siége devant Rennes qu’ils vinssent à Vennes.


Entrementes que le duc de Normandie séjournoit à Nantes, firent les chevaliers d’Angleterre, qui séoient devant la cité de Rennes, un assaut très grand et bien ordonné ; et avoient un grand temps paravant appareillé atournemens et instrumens pour assaillir ; et dura cet assaut un jour tout entier. Mais ils n’y conquirent rien ; ainçois y perdirent des leurs, et en y eut des morts et des blessés grand’foison ; car il y avoit dedans de bons chevaliers et écuyers de Bretagne, le baron d’Ancenis, le baron du Pont, messire Jean de Malestroit, Yvain Charruel et Bertrand Du Guesclin[2] écuyer. Cils ensonnièrent si vaillamment, avec l’évêque de la dite cité, qu’ils n’y eurent point de dommage. Nonobstant ce, se tinrent là toudis les Anglois et gâtèrent tout le pays d’environ.

Adonc se partit de Nantes le duc de Normandie atout son grand ost, et eut conseil qu’il iroit devant Vennes pour plutôt trouver ses ennemis ; car l’on avoit entendu que ceux de Vennes étoient plus étreints que ceux de Rennes, et en plus grand péril d’être perdus. Si s’arroutèrent ces gens d’armes, et chevauchèrent en bon arroy et en grand convenant, quand ils furent partis de Nantes. Si les conduisoient les deux maréchaux ; et messire Geffroy de Chargny, et le comte de Ghines connétable de France, faisoient l’arrière garde.

Tant exploitèrent ces gens d’armes, dont le duc de Normandie et messire Charles de Blois étoient chefs, qu’ils vinrent assez près de Vennes, d’autre part où le roi d’Angleterre étoit logé. Si se logèrent erraument les François tout contre val uns beaux prés, grands et larges, et tendirent tentes, trefs et pavillons, et toutes manières de logis ; et firent faire les François beaux fossés et grands entour leur ost, parquoi on ne leur pût porter dommage. Si chevauchoient aucune fois les maréchaux, et messire Robert de Beaumanoir, maréchal pour le temps de Bretagne, et alloient souvent escarmoucher à l’ost des Anglois ; et les Anglois aussi sur eux : si en y avoit souvent rués jus d’une part et d’autre. Quand le roi d’Angleterre vit venir le duc de Normandie à si grand’puissance, si remanda le comte de Salebrin et le comte de Pennebruich et les autres chevaliers qui se tenoient à siége devant Rennes, par quoi il fût plus fort, si com-

  1. Le siége de Vannes, où il était en personne.
  2. Quelques manuscrits écrivent Glayaquin, d’autres Clakin ; ceux-ci Clasquin, ceux-là Graisquin, et d’autres Guesclin. Il y a plus de vingt manières d’écrire le nom du célèbre connétable Du Guesclin.