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LIVRE I. — PARTIE I.

sis jusques à trois jours, il s’avisa et imagina comment il la pourroit avoir. Si regarda qu’elle étoit bien prenable, car elle n’étoit fermée que de palis. Si fit quérir et pourvoir grand’foison de nacelles, et entrer dedans archers, et puis nager jusques à ces palis, et eux venus jusques là, assaillir fortement ceux qui défendoient, et traire si ouniement que à peine n’osoit nul apparoir aux défenses pour la défendre. Entre ces archers avoit autres assaillans qui portoient cognées grands et bien tranchans dont, entrementes que les archers ensonnioient ceux de dedans, ils coupoient les palis, et en bref temps grandement les endommagèrent, et tant qu’ils en jetèrent un grand pan par terre, et entrèrent dedans efforcément. Quand ceux de la ville virent leurs palis rompus, et Anglois entrer dedans à grand’foison, si furent tous effrayés et commencèrent à fuir vers le marché : mais petite raliance se fit entr’eux ; car cils qui étoient entrés par les nacelles vinrent à la porte et l’ouvrirent ; si entrèrent dedans toutes manières de gens qui entrer y voulurent. Ainsi fut prise la ville de Dynant en Bretagne, toute courue et robée, et messire Pierre Portebeuf pris qui en étoit capitaine. Si prirent les Anglois desquels qu’ils voulurent, et gagnèrent grand avoir ; car elle étoit adonc durement riche, pleine et bien marchande.


CHAPITRE CCVIII.


Comment messire Louis d’Espaigne et ses compagnons gagnèrent quatre nefs d’Angleterre, chargées de pourvéances, et en effondrèrent trois.


Quand le roi d’Angleterre eut faite son emprise et sa volonté de la ville de Dynant en Bretagne, il s’en partit, et la laissa toute vague, et n’eut mie conseil de la tenir : si s’en achemina vers Vennes. En chevauchant cette part, nouvelles lui vinrent de la prise du seigneur de Cliçon et de messire Hervey de Léon : si en fut grandement joyeux ; et tant chevaucha qu’il vint devant Vennes ; et là se logea.

Or vous parlerons un petit de messire Louis d’Espaigne, de messire Charles Crimaut, de messire Othe Dorie qui étoient pour le temps amiraux de la mer à huit gallées, treize barges et trente nefs chargées de Gennevois et d’Espaignols, et se tenoient sur mer entre Bretagne et Angleterre ; et portèrent par plusieurs fois grands dommages aux Anglois qui venoient rafraîchir leurs gens de pourvéances devant Vennes. Et une fois entre les autres coururent sur la navie du roi d’Angleterre qui gissoit à l’ancre snr un petit port de-lez Vennes, et n’étoit mie adonc trop bien gardée. Si occirent la plus grand’partie de ceux qui la gardoient ; et y eussent porté trop grand dommage, si les Anglois qui séoient devant Vennes n’y fussent accourus. Quand les nouvelles vinrent en l’ost, chacun y alla qui mieux mieux. Toutefois on ne se put oncques si hâter que le dit messire Louis et sa route n’enmenassent quatre nefs chargées de pourvéances, et effondrèrent trois, et périrent ceux qui dedans étoient. Adonc fut conseillé au roi qu’il fît traire une partie de sa navie au hâvre de Brest, et l’autre au hâvre de Hainebon ; si le fit si comme il fut conseillé ; et toujours se tenoit le siége devant Vennes et aussi devant Nantes et devant Rennes sans ce que aucunes gens se apparussent de par messire Charles de Blois pour lever le siége.


CHAPITRE CCIX.


Comment le duc de Normandie se partit d’Angiers et s’en vint à Nantes ; et comment ceux qui tenoient le siége devant Nantes s’en allèrent à Vennes au roi d’Angleterre.


Nous retournerons à la chevauchée que le duc de Normandie fit en cette saison en Bretagne pour conforter son cousin messire Charles de Blois. Le duc de Normandie, qui avoit fait son assemblée et son amas de gens d’armes en la cité d’Angiers, se hâta tant qu’il put, car il entendit que le roi d’Angleterre travailloit durement le pays de Bretagne, et avoit assiégé trois cités et pris la bonne ville de Dynant : si se partit d’Angiers moult efforcément à plus de quatre mille hommes d’armes et trente mille d’autres gens. Si s’arrouta tout le charroi le grand chemin de Nantes ; et le conduisoient les deux maréchaux de France, le sire de Montmorency et le sire de Saint-Venant. Après chevauchoit le duc de Normandie, le comte d’Alençon son oncle, et le comte de Blois son cousin. Là étoient le duc de Bourbon, messire Jacques de Bourbon comte de Ponthieu, le comte de Boulogne, le comte de Vendôme, le comte de Dampmartin, le sire de Craon, le sire de Coucy, le sire de Sully, le sire de Fiennes, le sire de Roye, et