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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Adonc étoient dedans messire Olivier de Cliçon, messire Hervey de Léon, le sire de Tournemine, messire Geffroy de Malestroit et messire Guy de Loheac. Si pensoient bien ces chevaliers et avoient supposé de long-temps que le roi anglois viendroit moult efforcément en Bretagne, si comme il fit ; par quoi ils avoient la cité et le châtel de Vennes pourvus très grossement de toutes pourvéances nécessaires, et aussi de bonnes gardes de gens d’armes pour la défendre. Et bien leur étoit mestier, car sitôt que le roi anglois y fut venu et logé pardevant, il les fit assaillir moult âprement, et venir les archers devant et traire de grand randon à ceux de la cité très fortement ; et dura cet assaut bien demi-jour : mais rien n’y firent, fors eux lasser et travailler, tant fut la cité bien défendue. Adonc se retrairent les Anglois à leur logis.

Sitôt que la comtesse de Montfort sçut la venue du roi anglois, elle fut moult réjouie, et se partit de Hainebon bien accompagnée de messire Gautier de Mauny et de plusieurs autres chevaliers et écuyers, et s’envint devant Vennes

    ce qu’il a fait depuis son arrivée en Bretagne jusqu’au 5 décembre, veille de Saint-Nicolas ; la voici :

    « Très chier et très amé filtz, nous savoms bien qe vous desirez mult de savoir bones novelx de nous et de notre estat ; vous faceoms assavoir qe au partier du cestes nous esteioms heités de corps, Dieux en soit loïé ! desirant mesme ceo de vous oier et savoir. Très chier filtz, come nous est avenuz puis notre départir d’Engïeterre, vous faceoms assavoir qe nous avoms chivaché un graunt pièce en la duché de Brutaigne le quele païs est rendue à notre obéissance od plusours bones villes et forcelettes ; c’est assavoir la ville de Plouremell, et le chasliel et la ville de Rondon qe sont bones villes et bien fermés. Et sachez que le sire de Clissoun, qest un des plus grauntz de Peyto, et quatre autres barons, c’est assavoir le sire de Lyac, le sire de Machecoille, le sire de Reiez, le sire de Reynes et autres chivalers du dit païs, et lor villes et forcelettes qi sount droitement sour le fountz de Fraunce et de notre duchée de Gascoigne sount renduz à nostre pees, quele chose homme tient un graunt esploit à notre guerre. Et avaunt l’escrivere du cestes nous avoms envoiez en lez parties de Nauntes notre cosyn de Northf., le comte de Warwik, Mons. Hugh le Despenser et aultres banrefz od graunt nombre ove cccc. hommes d’armes pour faire l’esploit qu’ils poiount. Et puis lour départir avoms novels qe le sire de Gasson et les barons suisditz se fusrent mys, od un bon nombre des gentz d’armes, en aide de notre dit cosin et sa compagnye ; mais enquore à departir du cestes n’en avoms nulles novels de lour esploit, mais nous espoiroms d’aver hastiment bones od l’aide Dieux. Très chier filtz, sachez qe, par l’avis et consail de les plus sages de notre ost, avoms mys notre siége à la cité de Vanes qest le meillour ville de Bretaigne après la ville de Nauntes, et pluis poet grever et restreindre la païs à notre obéissance ; qar il nous estoit avis que, si nous eussoms chivaché pluis avaunt saunz estre seur de la dite ville, le païs qest renduz à nous ne purroit tenir devers nous en nutle manere. Et auxint la dite ville est sour la mear et est bien fermez, issint qe si nous la puissoms aver il serra graunt esploit à notre guerre. Et sachez, très cher filtz, que Monsr. Lowis de Peiters counte de Valentinès est capitain de la ville, et homme dist q’ils y sount bones gentz ovesque lui ; mais nous espoiroms que par la puissance de Dieux nous averoms bone issue ; qar, puis notre venue en cestes parties, Dieu nous ad donné bone comencement et assetz d’esploiter pour le temps, loié en soit-il ! et le païs est assetz pleinteouse des blés et de char. Màis toirtz foilz, cher filtz, il covient qe vous excitez notre cbauncelier et tresorer de envoir devers nous deniers, qar ils conussent bien notre estat. Chier filtz, sachez qe, le tierce jour que nous fusmes herbergés au dite siége, viendrent â nous un abbé et un clerc de par les cardinalx ovesque lour lettres pour nous requerre de eaux envoier sauve conduit pour venir devers nous ; et nous disoient qe s’ils eussent conduit ils puissent estre devers nous entour les huit jours après. Et feissoms notre consail respondre as ditz messagiers et deliverer à eux nos lettres de conduyt pour mesmes le cardinalx, pour venir à la ville de Maltrait à trente le ages de nous, qestoit n’ad gairs renduz à nous et à notre pees ; qar notre entent n’est pas qu’ils deivount pluis près aproscher notre ost qe la dite ville de Malatrait, pour plusours causes. Et sachez qe en quele plit que nous sumes, od l’aide de Dieu, notre entent ne est toutz jours decliner à reson, à quele heure que nous serra offert. Mais qe covient que les cardinalx veignent issint devers nous ne pensoms mye delaier un jour de notre parpos, qar nous poioms bien penser de delaies qe nous avoms eu einz ces heures par tretis de eaux et des aultres. Chier filtz, à pluis tost qe nous eioms nule issue de notre siége ou d’autre busoigne qe nous touche, nous vous manderoms les novelx toutdiz, si en avaunt qe les messagiers puissent entre aler. Chier filtz, faites monstrer cestes lettres à l’erchevesque de Cauntirbirs et à ceaux de notre consail devers vous. Chier filtz, Dieu soit gardein de vous. Doné soutz notre secré seal al siége de Vanes la veille de seint Nicholas. Très chier filtz, après l’escrivere du cestes lettres nous viendrent novels qe notre cosyn de North., et le comte de Warros. monseigneur Hughe le Despenser et lez aultres banerettes et lour companye ount assiégé la ville de Nauntes, qar ils espoiront od l’aide de Dieux de faire esploit hastivement. »

    Cette lettre paraîtra peut être au premier coup d’œil difficile à concilier dans tous les points avec le récit de Froissart ; mais un peu de réflexion fera disparaître la difficulté. On verra bientôt que la différence entre les deux récits vient, 1o de ce qu’Édouard se borne à rendre compte à son fils des principaux événemens de la campagne, sans entrer dans aucun des détails rapportés par Froissart ; 2o de la réticence de cet historien qui a omis, soit à dessein, soit qu’il les ignorât, quelques faits énoncés dans la lettre ; 3o enfin de ce que plusieurs de ceux qu’il, raconte sont postérieurs à la date de cette lettre.