Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
[1342]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de la mer que les Anglois ne fissent. Et aussi, si leurs gros vaisseaux eussent frotté à terre, ils eussent été en péril d’être brisés et rompus. Pourtant, par grand sens et avis, ils se boutèrent avant au parfont ; mais à leur département ils trouvèrent quatre nefs anglesches chargées de pourvéances et de chevaux, qui s’étoient tenues au dessus de la bataille : si eurent bien conscience, quel temps ni quel tempête qu’il fit, de prendre ces quatre vaisseaux et de les attacher aux leurs et emmener après eux. Et sachez que le vent et la fortune qui étoit si grand’les bouta, avant qu’il fût jour, plus de cent lieues loin du lieu où ils s’étoient combattus ; et les nefs messire Robert d’Artois prirent terre à un petit port assez près de la cité de Vennes ; dont ils furent tous réjouis quand ils se trouvèrent à terre.


CHAPITRE CXCVII.


Comment messire Robert d’Artois envoya son navire à Hainebon, et comment il assiégea la cité de Vennes.


Ainsi par cette grand’fortune se dérompit la bataille sur mer de messire Robert d’Artois et de sa route à l’encontre de messire Louis d’Espaigne et de ses gens. Si n’en sait-on à qui bonnement donner l’honneur, car ils se partirent tous maugré eux et par la diversité du temps. Toutes voies les Anglois prirent terre assez près de Vennes, et issirent hors des vaisseaux et mirent leurs chevaux sur le sablon, et toutes leurs armures et pourvéances ; et puis eurent conseil et avis du surplus comment ils se maintiendroient. Si ordonnèrent à traire leur navie devers Hainebon, et eux aller devant Vennes ; car assez étoient gens pour l’assiéger. Si s’émurent et chevauchèrent ordonnément celle part et n’eurent mie grand’foison allé quand ils s’y trouvèrent.

Adonc étoient dedans la cité de Vennes, pour messire Charles de Blois, messire Hervé de Léon et messire Olivier de Cliçon, deux vaillans chevaliers durement, comme capitaines ; et aussi y étoient le sire de Tournemine et le sire de Loheac. Quand ces chevaliers de Bretagne virent venus les Anglois, et qu’ils s’ordonnoient pour eux assiéger, si n’en furent mie trop effrayés ; mais entendirent premièrement au châtel, et puis aux guérites et aux portes ; et mirent à chacune porte un chevalier, dix hommes d’armes et vingt archers parmi les arbalétriers ; et s’apprêtèrent assez bien pour tenir et garder la cité contre tous venans. Or vous parlerons de messire Louis d’Espaigne et de sa route.


CHAPITRE CXCVIII.


Comment messire Louis d’Espagne perdit deux de ses vaisseaux et en prit quatre de Bayonne ; et comment il arriva en Guerrande.


Sachez que quandce grand tourment et cette fortune eurent élevé et bouté en mer le dit messire Louis, ils furent toute cette nuit et le lendemain tant que à nonne, moult tourmentés et en grand’aventure de leurs vies ; et perdirent par le tourment deux vaisseaux et les gens qui dedans étoient. Quand ce vint au tiers jour, environ heure de prime, le temps cessa et la mer s’aquassa. Si demandèrent les chevaliers aux mariniers de quel part ils étoient plus près de terre. Et ils répandirent : « Du royaume de Navarre. » Lors furent les patrons tous émerveillés, et dirent que le vent les avoit élongés de Bretagne plus de six vingt lieues. Si se mirent à l’ancre et attendirent la marée ; si que quand le flot de la mer revint, ils eurent assez bon vent pour retourner vers la Rochelle. Et costièrent Bayonne ; mais point ne l’approchèrent. Et trouvèrent quatre nefs de Bayonnois qui venoient de Flandre : si les assaillirent et prirent tantôt, et mirent à bord tous ceux qui dedans étoient ; et puis nagèrent vers la Rochelle ; et firent tant en brefs jours qu’ils arrivèrent à Guerrande et là se mirent-ils à terre. Si entendirent les nouvelles que messire Robert d’Artois et ses gens étoient à siége devant la cité de Vennes. Si envoyèrent messire Charles de Blois qui se tenoit à Rennes, pour savoir quelle chose il vouloit qu’ils fissent. Or lairons nous un petit à parler des François, et parlerons de ceux qui étoient à siége devant Vennes.


CHAPITRE CXCIX.


Comment messire Robert d’Artois et la comtesse de Montfort prirent la cité de Vennes ; et comment le sire de Cliçon, le sire de Tournemine, le sire de Loheac et messire Hervé de Léon se sauvèrent.


Messire Robert d’Artois, si comme vous avez ouï, avoit assiégé la cité de Vennes, à mille