Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
[1342]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et lui sembla grand blâme de requérir son adversaire de trêves, selon ce que on lui avoit fait de nouvel à savoir ; mais le guerroyeroit si fortement que les dits Escots seroient tous désirans de prendre trêves. Les seigneurs d’Angleterre lui dirent, sauve sa grâce, que non étoit selon ce que autrefois il avoit gâté tout, et qu’il avoit à faire en tant de pays hors de son royaume ; et dirent qu’on tenoit à grand sens d’un seigneur, quand il a plusieurs grands guerres en un temps, et il en peut une atréver, l’autre appaiser, et de la tierce guerroyer. Tant lui montrèrent de raisons qu’il s’y accorda, et pria au prélat dessus dit qu’il y voulût aller. L’évêque ne le voult mie escondire, ains se mit au chemin et alla celle part : mais il perdit sa voie et revint arrière sans rien faire. Si apporta au roi d’Angleterre que le roi David d’Escosse n’avoit point de conseil de donner trêves ni souffrance, ni de faire aucune paix ou accord, sans le gré et consentement du roi Philippe de France. De ce rapport eut le roi anglois plus grand dépit que devant. Si dit tout haut que ce seroit amandé brièvement, et qu’il atourneroit tellement le royaume d’Escosse que jamais ne seroit recouvré. Si manda partout son royaume que chacun fût à Bervich à la fête de Pâques, appareillés d’aller où il les voudroit mener, excepté ceux qui devoient aller en Bretagne avec messire Robert d’Artois et la comtesse de Montfort.


CHAPITRE CXCIV.


Comment il eut trêves entre les Anglois et les Escots jusques à deux ans, par le consentement du roi de France.


Le jour de Pâques et le terme vint : le roi Édouard tint une grand’fète et cour à Bervich : tous les princes, les seigneurs et chevaliers d’Angleterre y furent, et aussi grand’foison de la communauté du pays ; et furent là par l’espace de trois semaines sans chevaucher plus avant ; car bonnes gens s’ensoignèrent entre le roi Édouard et le roi d’Escosse, par quoi il n’y eut point de guerre adonc ; et fut une trêve prise, jurée et accordée à tenir deux ans ; et le firent les Escots confirmer du roi de France. Par ainsi se défit cette grosse chevauchée, et départit le roi anglois ses gens, et leur donna congé de raller en leurs hôtels ; et il même s’en vint à Windesore ; et envoya adonc messire Thomas Hollande et messire Jean de Hartecelle[1] à Bayonne, atout deux cents armures de fer et trois cents archers, pour garder les frontières contre les François.

Or vous parlerons de l’armée messire Robert d’Artois et de sa compagnie, et comment ils arrivèrent en Bretagne. En ce temps échurent Pâques si haut, que environ Pâques closes on eut l’entrée du mois de mai[2] ; de quoi, en my ce mois, la trêve de messire Charles de Blois et de la comtesse de Montfort devoit faillir. Si étoit bien messire Charles de Blois informé du pourchas que la comtesse de Montfort avoit en Angleterre, et de l’aide et confort que le roi d’Angleterre lui devoit faire. Donc messire Louis d’Espaigne, messire Charles de Grimaut, messire Othon Dorie étoient établis sur la mer à l’encontre de Grenesé, à trois mille Gennevois et mille hommes d’armes et trente-deux gros vaisseaux espaignols tous armés et tous frétés ; et ancroient sur la mer attendant leur venue. D’autre part, messire Gautier de Mauny et les seigneurs de Bretagne et d’Angleterre qui dedans Hainebon se tenoient, étoient durement émerveillés de leur comtesse et de ce qu’elle demeuroit tant, et si n’en oyoient nulles nouvelles ; non pour quant moult bien supposoient qu’elle ne séjournoit mie trop à son grand aise ; et ne se doutoient d’autre chose sinon qu’elle n’eût aucun dur rencontre sur mer de ses ennemis : si ne savoient que penser.


CHAPITRE CXCV.


Comment messire Louis d’Espaigne et messire Robert d’Artois et la comtesse de Montfort et les autres seigneurs d’Angleterre se combattirent durement sur mer.


Ainsi que messire Robert d’Artois, le comte de Pennebroch, le comte de Salebrin, le comte de Suffolch, le comte de Kenfort, le baron de Stanfort, le seigneur Despensier, le seigneur de Bourchier et les autres seigneurs d’Angleterre et leurs gens, avec la comtesse de Montfort, nageoient par mer au lez devers Bretagne, et avoient vent à souhait, au département de l’île de Grenesé, à heure de relevée, ils perçurent

  1. Johnes, dans sa traduction anglaise, dit : sir John Darvel.
  2. Ceci ne peut convenir qu’à l’année 1343 où Pâques tomba le 13 avril, et nullement à l’année 1342 où l’on eut Pâques le 31 mars.