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LIVRE I. — PARTIE I.

échappés, et se mit fortement à nager. Quand ces chevaliers d’Angleterre et de Bretagne dessus nommés eurent déconfit leurs ennemis, et ils aperçurent que le dit messire Louis s’en étoit parti et allé devers les vaisseaux, ils se mirent tous à aller après lui, tant qu’ils purent, et laissèrent les gens du pays convenir du remenant et eux venger, et reprendre partie de ce qu’on leur avoit robé. Quand ils furent venus à leurs vaisseaux, ils trouvèrent que le dit messire Louis étoit entré en une lique qu’il avoit trouvée, et s’en alloit fuyant tant qu’il pouvoit.

Ils entrèrent tantôt ès plus appareillés vaisseaux qu’ils trouvèrent là, et dressèrent leurs voiles, et nagèrent tant qu’ils purent après le dit messire Louis ; car il leur étoit avis qu’ils n’avoient rien fait, si le dit messire Louis leur éehappoit. Ils eurent bon vent à souhait, et le véoient toudis nager si fortement qu’ils ne le pouvoient raconsuir. Tant nagèrent à force de bras les marroniers messire Louis, qu’ils vinrent à un port qu’on appelle Redon. Là descendit le dit messire Louis et ceux qui échappés étoient avec lui ; et entrèrent en la ville de Redon. Ils ne furent mie grandement arrêtés en la dite ville quand ils ouïrent dire que les Anglois étoient arrivés, et qu’ils descendoient pour eux combattre. Adonc se hâta le dit messire Louis, qui ne se vit mie pareil contre eux ; et monta sur petits chevaux qu’il emprunta en la ville ; et s’en alla droit vers la cité de Rennes qui est assez près de là ; et montèrent aussi ses gens qui purent recouvrer de chevaux ; et qui ne purent, se partirent tout à pied, suivant leur maître. Si en y eut plusieurs de laissés et mal montés r’atteints, qui eurent mal finé quand ils chéirent ès mains de leurs ennemis. Toute fois le dit messire Louis se sauva ; et ne le purent les Anglois aconsuir ; et s’en vint à petite menée en la cité de Rennes ; et les Anglois et les Bretons s’en retournèrent et vinrent à Redon ; et là se reposèrent cette nuit.

Lendemain ils se remirent à chemin par mer, pour venir à Hainebon par devers la comtesse leur dame, mais ils eurent vent contraire ; si leur convint prendre port trois lieues près de Dignant ; puis se mirent à chemin par terre, ainsi qu’ils purent, et gâtèrent le pays d’entour Dignant ; et prenoient chevaux tels que chacun pouvoit trouver, l’un à selle, l’autre sans selle, et allèrent tant qu’ils vinrent une nuit assez près de Roche-Périou. Quand ils furent là venus, messire Gautier de Mauny dit à ses compagnons : « Certainement, seigneurs, je irois volontiers assaillir ce fort châtel, si j’avois compagnie, comme travaillé que je sois, pour essayer si nous y pourrions rien conquêter. » Les autres chevaliers répondirent tous : « Sire, allez-y hardiment, nous vous suivrons jusques à la mort. »

Adonc se mirent tous à monter contre mont la montagne, tous prêts et appareillés d’assaillir. À ce point étoit cel écuyer qu’on appeloit Girard de Maulain, comme châtelain, qui avoit été prisonnier à Dignant, si comme vous avez ouï ; lequel fit armer appertement toutes ses gens et aller aux guérites et défenses ; et ne se mit point derrière, mais vint à toutes ses gens pour défendre le châtel. Là eut un fort assaut, dur et périlleux, et y eut plusieurs chevaliers et écuyers navrés entre lesquels messire Jean le Bouteiller et messire Mathieu de Fresnay furent durement blessés ; et tant qu’il les convint rapporter à val, et mettre gésir ès prés avec les autres navrés.


CHAPITRE CLXXXIII.


Comment ceux de Hainebon se partirent de la Roche-Périou en allèrent devant Faouet, un autre fort châtel, pour l’assaillir.


Cil Girard de Maulain avoit un frère, hardi écuyer et conforté durement, que on clamoit Régnier de Maulain, et étoit châtelain d’un autre petit fort que on appeloit Faouet, qui siéd à moins d’une lieue près de Roche-Périou. Quand ce Régnier entendit que Bretons et Anglois assailloient son frère, il fit armer de ses compagnons jusques à quarante ; si issit hors, et chevaucha par devers Roche-Périou pour aventures, et pour voir s’il pourroit en aucune manière à son frère valoir ni aider. Si lui avint si bien qu’il survint sur ces chevaliers et écuyers navrés et sur leur menée, qui gissoient dessous le châtel en un pré : si leur coururent sus, et prirent les deux chevaliers et les écuyers navrés ; et les fit porter et emmener pardevers Faouet en prison, ainsi blessés qu’ils étoient. Aucuns de leur menée s’en affuirent à messire Gautier de Mauny et les autres chevaliers, qui étoient grandement intentifs d’assaillir, et leur dirent l’aventure comment on emmenoit ces chevaliers et écuyers pardevers Faouet en prison, et comment ils