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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

leur capitaine ; et quand il vit ce, il se mit hors de la cité descongnuement, entrementes qu’on parlementoit, et s’en alla devers Hainebon. Et le parlement se fit ainsi, que messire Charles de Blois et tous les seigneurs de France entrèrent en la cité et prirent la féauté des bourgeois, et se reposèrent en la cité par cinq jours ; puis s’en partirent et allèrent assiéger une autre forte cité que on appelle Craais. Or lairay à parler un petit d’eux, et retournerai à messire Louis d’Espaigne.


CHAPITRE CLXXXI.


Comment messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon déconfirent messire Louis d’Espaigne et sa route, et gagnèrent tout l’avoir qu’il avoit conquis ; et comment il échappa.


Sachez que quand messire Louis d’Espaigne fut monté au port de Guerrande-sur-Mer, il et sa compagnie allèrent tant nageant par mer qu’ils arrivèrent en la Bretagne-Bretonnant[1], au port de Kemperlé, et assez près de Kemper-corantin et de Saint-Mathieu-de-Fine-Poterne[2] ; et issirent des naves et allèrent ardoir et rober tout le pays ; et trouvèrent si grand avoir que merveilles seroit à raconter. Si l’apportoient tout en leurs naves et puis ralloient d’autre part rober ; et ne trouvoient nullui qui leur défendit. Quand messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon sçurent les nouvelles de messire Louis d’Espaigne et de ses compagnons, ils eurent conseil qu’ils iroient celle part : puis le découvrirent à messire Yvon de Treseguidy, au châtelain de Guinganp, au seigneur de Landernaux, à messire Guillaume de Quadoudal, aux deux frères de Penefort, et à tous les chevaliers qui là étoient dedans Hainebon, qui tous s’y accordèrent de bonne volonté. Lors se mirent tous en leurs vaisseaux, et prirent trois mille archers avec eux, et ne cessèrent de nager jusques à tant qu’ils vinrent droit au port où les naves messire Louis étoient ancrées. Si entrèrent dedans et tuèrent tous ceux qui les naves gardoient ; et trouvèrent dedans si grand avoir qu’ils s’en émerveillèrent durement, que les Espaignols avoient là dedans apporté ; puis se mirent à terre et se mirent en plusieurs lieux à maisons ardoir et villes. Si se partirent en trois batailles, par grand sens, pour plus tôt trouver leurs ennemis, et laissèrent trois cents archers pour garder leur navie et l’avoir qu’ils avoient gagné, puis se mirent à la voye par plusieurs chemins.

Ces nouvelles vinrent à messire Louis d’Espaigne que les Anglois étoient arrivés efforcément et le queroient : si rassembla toutes ses gens et se mit au retour devers ses naves, pour entrer dedans. Ainsi qu’il s’en revenoit, tous ceux du pays le poursuivoient, hommes et femmes, qui avoient perdu leur avoir ; et il se hâtoit tant qu’il pouvoit. Si encontra l’une des trois batailles, et vit bien que combattre le convenoit : si se mit en bon convenant ; car il étoit hardi chevalier et conforté durement ; et fit là aucuns chevaliers nouveaux, espécialement un sien neveu que on appeloit Alphonse. Si se férirent en cette première bataille si roidement qu’ils en ruèrent maint par terre ; et eût été tantôt toute déconfite et sans remède, si n’eussent été les deux autres batailles qui y survinrent, par le cri et par le hu qu’ils avoient ouï des gens du pays. Lors commença le hutin à renforcer et les archers si fort à traire que Gennevois et Espaignols furent déconfits et presque tous morts et tués à grand meschef ; car ceux du pays, qui les suivoient à bourlets et à piques, y survinrent, qui les partuèrent tous, et rescouoient ce qu’ils pouvoient de leur perte. Si que à grand meschef le dit messire Louis se partit de la bataille, durement navré en plusieurs lieux, et s’en affuit pardevers ses naves tout déconfit, et ne remmena, de bien sept mille hommes qu’il avoit avec lui, plus haut de trois cents, et y laissa mort son neveu que moult aimoit, messire Alphonse d’Espaigne ; dont il étoit en cœur, et fut depuis ce moult destroit et courroucé, mais amender ne le put.


CHAPITRE CLXXXII.


Comment messire Gautier de Mauny poursuivit messire Louis d’Espaigne jusques bien près de Rennes, et comment il assaillit La Roche-Périou.


Quand il fut revenu à ses naves, il cuida entrer dedans ; mais il les trouva si bien gardées qu’il ne put entrer dedans ; si se mit dans un vaisseau qu’on appelle lique, à grand meschef et en grand’hâte, atout ce de gens qu’il avoit

  1. On appelait ainsi la Basse-Bretagne ; la Haute se nommait Bretagne-Galot.
  2. Saint-Mathieu-Fin-de-Terre, cap situé à la pointe occidentale de la Bretagne, près du Conquêt.