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LIVRE I. — PARTIE I.

étoit maître et souverain des Anglois demanda de l’état de ceux de la ville et de leur convenant, et de ceux de l’ost aussi ; puis regarda et dit qu’il avoit grand’volonté d’aller abattre ce grand engin, qui si près leur étoit assis et qui si grand ennui leur faisoit ; mais que on le voulût suivre. Messire Yves de Treseguidy dit qu’il ne lui en faudroit mie à cette première envaye. Aussi dit le sire de Landerneaux. Adonc s’alla tantôt armer le gentil chevalier messire Gaulier de Mauny ; aussi firent tous ses compagnons quand ils le sçurent ; et aussi firent tous les chevaliers bretons et écuyers qui laiens étoient : puis issirent hors paisiblement par la porte, et firent aller avec eux trois cents archers. Tant allèrent traiant les archers qu’il firent fuir ceux qui gardoient le dit engin ; et les gens d’armes qui venoient après les archers en occirent aucuns, et abattirent ce grand engin, et le détaillèrent tout par pièces. Puis coururent de randon jusques aux tentes et aux logis, et boutèrent le feu dedans. Si tuèrent et navrèrent plusieurs de leurs ennemis, ainçois que l’ost fût estourmi ; et puis se retrairent bellement arrière. Quand l’ost fut estourmi et armé, ils vinrent accourant après eux comme gens tous forcenés ; et quand messire Gautier vit ses gens accourir et estourmir en démenant grands hus et grands cris, il dit tout haut : « Jamais ne sois-je salué de ma chère amie, si je rentre en châtel ni en forteresse jusques à ce que j’aurai l’un de ces venans versé à terre, ou je y serai versé. » Lors se retourna-t-il le glaive au poing, devers ses ennemis : aussi firent les deux frères de Laindehalle, le Haze de Brabant, messire Yves de Treseguidy, messire Galeran de Landerneaux, et plusieurs autres compagnons, et brochèrent aux premiers venans. Si en firent plusieurs verser, les jambes contre mont ; aussi en y eut des leurs versés. Là commença un très fort hutin ; car toujours venoient avant ceux de l’ost. Si monteplioit leur effort ; par quoi il convenoit les Anglois et les Bretons retraire tout bellement devers leur forteresse. Là put-on voir d’une part et d’autre belles envayes, belles rescousses, beaux faits d’armes et belles prouesses, grand’foison. Sur tous les autres le faisoit bien et en avoit la huée le gentil chevalier messire Gautier de Mauny ; et aussi moult vaillamment s’y maintinrent ses compagnons et s’y combattirent très bien. Quand ils virent que temps fut de retraire, ils se retrairent bellement et sagement jusques à leurs fossés ; et là rendirent estal tous les chevaliers, combattant jusques à tant que leurs gens furent entrés à sauveté. Mais sachez que les autres archers, qui point n’avoient été à abattre les engins, étoient issus de la ville et rangés sur les fossés, et traioient si fortement qu’ils firent tous ceux de l’ost reculer, qui eurent grand’foison d’hommes et de chevaux morts et navrés. Quand ceux de l’ost virent que leurs gens étoient en bersail, et qu’ils perdoient sans rien conquêter, ils firent leurs gens retraire à leurs logis ; et quand ils furent tous retraits, ceux de la ville se retrairent aussi chacun en son hôtel. Qui adonc vit la comtesse descendre du châlel à grand’chère, et baiser messire Gautier de Mauny et ses compagnons les uns après les autres deux ou trois fois, bien put dire que c’étoit une vaillant dame.


CHAPITRE CLXXVIII.


Comment messire Louis d’Espaigne se délogea de devant Hainebon ; et comment messire Charles de Blois l’envoya à Dignant ; et comment il prit le châtel de Conquest.


À lendemain, messire Louis d’Espaigne appela le vicomte de Rohan, l’évêque de Léon, messire Hervey de Léon, et le maître des Gennevois, pour avoir avis et conseil qu’ils feroient et comment ils se maintiendroient ; car ils véoient la ville de Hainebon forte, et le secours qui venu y étoit ; mêmement les archers qui tous les déconfisoient ; parquoi ils perdoient le temps pour néant, et alenoient à demeurer là, et ne véoient tour ni voie par quoi ils pussent rien conquêter. Si se accordèrent tous à ce qu’ils se délogeroient lendemain et se trairoient vers le châtel d’Auroy, là où messire Charles de Blois étoit à siége fait, et les autres seigneurs de France. Lendemain bien matin ils défirent leurs logis et se trairent celle part, si comme ordonné étoit. Ceux de la ville firent grand huy après eux, quand ils les virent déloger ; et aucuns issirent après eux pour aventure trouver : mais ils furent rechassés arrière, et perdirent de leurs compagnons, ainçois qu’ils pussent être retraits à la ville.

Quand messire Louis d’Espaigne et toute sa charge de gens d’armes furent venus en l’ost