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LIVRE I. — PARTIE I.

côtés de l’ost, et fit ouvrir la porte du châtel de Hainebon, et entra dedans à grand’joie et à grand son de trompettes et de nacaires ; de quoi l’ost des François fut durement estourmi. Si se firent tous armer et coururent devers la ville pour assaillir ; et ceux dedans aux fenêtres pour défendre. Là commença grand assaut et fort, qui dura jusques à haute nonne[1] ; et plus y perdirent les assaillans que les défendans. Environ heure de nonne les seigneurs firent cesser l’assaut, car leurs gens se faisoient tuer et navrer sans raison ; et retrairent à leur logis. Si eurent conseil et accord que messire Charles de Blois irait assiéger le châtel d’Auroy que le roi Artus fit faire et fermer ; et iraient avec lui le duc de Bourbon, le comte de Blois son frère, le maréchal de France messire Robert Bertrand, et messire Hervey de Léon, et partie des Gennevois ; et messire Louis d’Espaigne, le vicomte de Rohan, et tout le remenant des Gennevois et Espaignols demeureraient devant Hainebon, et manderoient douze grands engins qu’ils avoient laissés à Rennes pour jeter à la ville et au châtel de Hainebon ; car ils véoient bien qu’ils ne pouvoient gagner ni rien profiter à l’assaillir. Si que ils firent deux osts ; si en demeura l’un devant Hainebon, et l’autre alla assiéger le châtel d’Auroy, qui étoit assez près de là : duquel nous parlerons, et nous souffrirons un petit des autres.


CHAPITRE CLXXVI.


Comment messire Charles de Blois se logea devant Auroy ; et comment messire Amaury de Cliçon amena à la comtesse grand secours d’Angleterre.


Messire Charles de Blois se mit devant le châtel d’Auroy à toute sa compagnie, et se logea, et tout son ost environ ; et y fit assaillir et escarmoucher ; car ceux du châtel étoient bien pourvus et bien garnis de bonnes gens d’armes pour tel siége soutenir. Si ne se voulurent rendre, ni laisser le service de la comtesse, qui grands biens leur avoit faits, pour obéir au dit messire Charles, pour promesses. Dedans la forteresse avoit deux cents compagnons aidables, uns et autres, desquels étoient maîtres et capitaines deux chevaliers du pays, vaillans hommes et hardis durement, messire Henry de Pennefort et Olivier son frère. À quatre lieues près de ce château sied la bonne cité de Vennes, qui fermement se tenoit à la comtesse ; et en étoit messire Geoffroi de Malestroit, capitaine, gentil homme et vaillant durement. D’autre part siéd la bonne ville de Dignant[2] en Bretagne, qui adonc n’étoit fermée, fors de fossés et de palis : si en étoit capitaine, de par la comtesse, un durement vaillant homme que on appeloit le châtelain de Guinganp : mais il étoit adonc dedans Hainebon avec la comtesse ; mais il avoit laissé à Dignant en son hôtel sa femme et ses filles ; et avoit laissé capitaine, en lieu de lui, messire Regnault son fils, vaillant chevalier et hardi durement.

Entre ces deux bonnes villes siéd un fort châtel qui se tenoit adonc à messire Charles de Blois, et l’avoit garni de gens d’armes et de soudoyers qui tous étoient Bourguignons. Si en étoit souverain et maître un bon écuyer assez jeune que on appeloit Girard de Maulain ; et avoit avec lui un hardi chevalier qu’on appeloit messire Pierre Portebeuf. Ces deux avec leurs compagnons, honnissoient et gâtoient tout le pays de là entour, et contraignoient si ouniment la cité de Vennes et la bonne ville de Dignant que nulles pourvéances ni marchandises ne pouvoient entrer ni venir, fors en grand péril et en grand’aventure ; car ils chevauchoient l’un jour pardevers Vennes, l’autre jour pardevers Dignant.

Tant chevauchèrent ainsi les dessus dits Bourguignons et leurs routes, que le jeune bachelier, messire Regnault de Guinganp, prit, à un embuchement qu’il avoit établi, le dit Girart de Maulain à toute sa compagnie, qui étoient eux vingt cinq compagnons, et rescouit jusques à quinze marchands à tout leur avoir qu’ils avoient pris, et les emmenoient pardevers leurs garnisons qu’on appelle Roche-Périou. Mais le jeune bachelier, messire Regnault de Guinganp, les con-

  1. Jusques après midi.
  2. La manière dont Froissart parle de ce lieu et la situation qu’il lui assigne ne peuvent convenir ni à la ville de Dinant dans le diocèse de Saint-Malo ni à celle de Guingamp dans le diocèse de Treguier, que quelques manuscrits et les imprimés nomment au lieu de Dinant : l’une et l’autre sont trop éloignées de Vannes et d’Auray. Peut-être faudrait-il charger le d en b, et lire Bignant au lieu de Dignant. Bignant est un gros village ou bourg assez près de Vannes et d’Auray, et très bien placé pour être le théâtre des faits que Froissart va raconter. Peut-être aussi l’historien connaissait-il mal la géographie de la Bretagne et s’est-il trompé sur la position de Dinant.