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LIVRE I. — PARTIE I.


CHAPITRE CLXXII.


Comment les bourgeois de Rennes rendirent la cité à monseigneur de Blois.


Or est à savoir que messire Charles de Blois et ces seigneurs de France sirent longuement devant la cité de Rennes, et tant qu’ils y firent très grand dommage, parquoi les bourgeois en furent durement ennuyés ; et volontiers se fussent accordés à rendre la cité, s’ils eussent osé ; mais messire Guillaume de Quadudal ne s’y vouloit accorder nullement. Quand les bourgeois et le commun de la cité eurent assez souffert, et qu’ils ne véoient aucun secours de nulle part venir, ils se voulurent rendre ; mais le dit messire Guillaume ne s’y voulut accorder. Au dernier, ils prirent le dit messire Guillaume et le mirent en prison ; et puis eurent en convenant à messire Charles qu’ils se rendroient lendemain, par telle condition que tous ceux de la partie de la comtesse de Montfort s’en pouvoient aller sauvement quel part qu’ils voudroient. Le dit messire Charles de Blois leur accorda. Ainsi fut la cité de Rennes rendue à messire Charles de Blois, l’an de grâce mil trois cent quarante deux, à l’entrée de mai. Et messire Guillaume de Quadudal ne voulut point demeurer de l’accord messire Charles de Blois ; ains s’en alla tantôt devers Hainebon où la comtesse de Montfort étoit, qui fut moult dolente quand elle sçut que la cité de Rennes étoit rendue. Et si n’oyoit aucune nouvelle de messire Almaury de Cliçon, ni de sa compagnie.


CHAPITRE CLXXIII.


Comment les seigneurs de France se partirent de Rennes et allèrent assiéger Hainebon où la comtesse de Montfort étoit.


Quand la cité de Rennes fut rendue, ainsi que vous avez ouï, et les bourgeois eurent fait féauté à messire Charles de Blois, messire Charles eut conseil quel part il pourroit aller atout son ost, pour mieux avant exploiter de conquérir le remenant. Le conseil se tourna à ce que il se traist pardevers Hainebon, où la comtesse étoit ; car puisque le sire étoit en prison, s’il pouvoit prendre la ville, le châtel, la comtesse et son fils, il auroit tôt sa guerre affinée. Ainsi fut fait : si se trairent tous vers Hainebon et assiégèrent la ville et le châtel tout autour tant qu’ils purent, par terre. La comtesse étoit si bien pourvue de bons chevaliers et d’autres suffisans gens d’armes qu’il convenoit pour défendre la ville et le châtel ; et toudis étoit en grand soupçon du secours d’Angleterre qu’elle attendoit ; et si n’en oyoit aucunes nouvelles : mais avoit doute que grand meschef ne leur fût avenu, ou par fortune de mer, ou par rencontre d’ennemis.

Avec elle étoit en Hainebon l’évêque de Léon en Bretagne, dont messire Hervey de Léon étoit neveu, qui étoit de la partie messire Charles ; et si y étoit messire Yves de Treseguidy, le sire de Landernaux, le châtelain de Guinganp, les deux frères de Kerriec, messire Henry et messire Olivier de Pennefort et plusieurs autres. Quand la comtesse et ces chevaliers entendirent que ces seigneurs de France venoient pour eux assiéger, et qu’ils étoient assez près de là, ils firent commander que on sonnât la ban-cloche, et que chacun s’allât armer et allât à sa défense, ainsi que ordonné étoit. Ainsi fut fait, sans contredit. Quand messire Charles de Blois et les seigneurs de France furent approchés de la ville de Hainebon, et ils la virent forte, ils firent leurs gens loger ainsi que pour faire siége. Aucuns jeunes compagnons gennevois, espaignols et françois allèrent jusques aux barrières pour paleter et escarmoucher ; et aucuns de ceux de dedans issirent encontre eux, ainsi que on fait souvent en tels besognes. Là eut plusieurs hutins ; et perdirent plus les Gennevois qu’ils n’y gagnèrent, ainsi qu’il avient souvent en soi trop follement abandonnant. Quand le vespre approcha, chacun se retraist à sa loge. Lendemain, les seigneurs eurent conseil qu’ils feroient assaillir les barrières fortement, pour voir la contenance de ceux de dedans, et pour voir s’ils y pourroient rien conquêter, ainsi qu’ils firent ; car au tiers jour y assaillirent au matin entour heure de prime aux barrières très fort ; et ceux de dedans issirent hors, les aucuns les plus suffisans, et se défendirent si vaillamment que ils firent l’assaut durer jusques à heure de nonne que les assaillans se retrairent un petit arrière, et ils laissèrent foison de morts, et en ramenèrent plenté de blessés. Quand les seigneurs virent leurs gens retraire, ils en furent durement courroucés ; si firent recommencer l’assaut plus fort que devant ; et aussi ceux de Hainebon s’efforcèrent d’eux très bien défendre ; et la comtesse qui étoit armée de