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LIVRE I. — PARTIE I.

que tous les trois jours y eut tant d’escarmouehes et de paletis entre les deux osts, que chacun étoit ennuyé de les regarder ; et en y avoit souvent des morts et des pris d’une part et d’autre. Et sur tous les autres y étoit plus souvent vu en bon convenant messire Guillaume de Douglas, qui s’arme d’azur à comble d’argent, et dedans le comble trois étoiles de gueules[1] ; et étoit celui qui y faisoit plus de beaux faits, de belles rescousses et de hauts emprises ; et fit en l’ost des Anglois moult de destourbiers.


CHAPITRE CLXIX.


Comment il eut trêve entre les Anglois et les Escots jusque à deux ans, par lesquelles trêves le comte de Salebrin et le comte de Moret furent délivrés l’un pour l’autre.


Tous ces trois jours parlementèrent aucuns prud’hommes de trêve et d’accord entre ces deux rois ; et tant traitèrent que une trêve fut accordée à durer deux ans, voire si le roi Philippe de France s’y consentoit, car le roi d’Escosse étoit si fort allié à lui qu’il ne pouvoit donner trêve ni faire paix sans lui ; et si le roi Philippe ne s’y youloit accorder, si devoient les trêves durer entre Angleterre et Escosse jusques au premier jour d’août[2]. Et devoit être quitte le comte de Moret de sa prison, si le roi d’Escosse pouvoit tant pourchasser devers le roi de France que le comte de Salebrin fût quitte aussi de sa prison ; laquelle chose devoit être pourchassée dedans la Saint-Jean-Baptiste. Le roi d’Angleterre s’accorda à cette trêve plus légèrement, pourtant que cil fait à grand sens qui a trois guerres ou quatre, s’il en peut atréver ou apaiser les deux ou les trois qu’il le fasse. Et ce roi avoit bien à penser sur telles choses : car il avoit guerre en France, en Gascogne, en Poitou, en Xaintonge et en Bretagne ; et partout ses gens et ses soudoyers. Cette trêve aux Escots fut ainsi affermée et accordée que vous avez ouï. Si départit le roi d’Escosse ses gens, et s’en ralla chacun en sa contrée. Puis envoya grands messages au roi Philippe de France, pour accorder ce que traité étoit, s’il lui plaisoit. Il plut assez bien au roi de France, pour mieux complaire au roi d’Escosse ; et ne dédit de rien le traité, mais renvoya le comte de Salebrin en Angleterre[3]. Dont sitôt qu’il y fut revenu, le roi anglois renvoya arrière le comte de Moret d’Escosse, devers le roi David, qui en eut grand'joie. Ainsi fut fait cet échange de ces deux seigneurs, si comme vous avez ouï ; et se départirent ces deux grosses chevauchées sans plus rien faire, et se retraist chacun en son lieu. Or retournerons-nous à parler des aventures et des guerres de Bretagne.


CHAPITRE CLXX.


Comment les seigneurs de France retournèrent en Bretagne par devers monseigneur Charles de Blois et comment ils assiégèrent la cité de Rennes que la comtesse de Montfort avoit bien garnie.


Vous devez savoir que quand le duc de Normandie, le duc de Bourgogne, le comte d’Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Blois, le connétable de France, le comte de Ghines son fils, messire Jacques de Bourbon, messire Louis d’Espaigne, et les comtes et barons de France se furent partis de Bretagne, qu’ils eurent conquis le fort châtel de Chastonceaulx, et puis après la cité de Nantes, et pris le comte de Montfort, et livré au roi Philippe de France, et il l’eut fait mettre en prison au Louvre à Paris, ainsi comme vous avez ouï, et comment messire Charles de Blois étoit demeuré tout coi en la cité de Nantes et au pays d’entour, qui obéissoit à lui, pour attendre la saison d’été, en laquelle il fait meilleur guerroyer qu’il ne fait en la saison d’hiver, et cette douce saison fut revenue, tous ces seigneurs dessus nommés, et grand’foison de gens avec eux, s’en rallèrent devers Bretagne à grand'puissance, pour aider à messire Charles de Blois à conquérir le remenant de la duché de Bretagne,

  1. Le trait distinctif des armoiries de la famille Douglas, telles qu’elle les porte aujourd’hui, est un cœur qui fut ajouté à ses armes, en conséquence de l’honneur qui lui fut conféré par Robert bruce sur son lit de mort.
  2. Il paraît que cette trêve ne fut pas si tôt conclue, et que les deux rois se contentèrent alors de confirmer celle dont on a parlé précédemment et qui devait durer jusqu’au 1er mai ; peut-être même qu’il n’y eut aucun traité entre eux, et que la rigueur seule de la saison les obligea de cesser les hostilités et de se retirer chacun dans son pays. Quoi qu’il en soit, les pouvoirs donnés par Édouard, en date des 20 mars et 3 avril de cette année 1342, pour traiter avec les ambassadeurs de David Bruce, soit de la paix, soit seulement d’une trêve, prouvent qu’à cette époque il n’y avait point de trêve entre eux, ou qu’elle était près d’expirer.
  3. Le comte de Salisbury retourna vraisemblablement en Angleterre vers le commencement du mois de juin.