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LIVRE I. — PARTIE I.

biens assez. Et j’ai de l’avoir en plenté : si vous en donnerai assez, et vous pourchasserai tel capitaine et tel mainbour par qui vous serez tous bien reconfortés. »

Quand la dessus dite comtesse eut ainsi reconforté ses amis et ses soudoyers qui étoient à Rennes, elle alla par toutes ses bonnes villes et forteresses, et menoit son jeune fils avec elle, et les sermonnoit et reconfortoit, en telle manière que elle avoit fait de ceux de Rennes ; et renforçoit les garnisons de gens et de quant que il leur falloit ; et paya largement partout, et donna assez abondamment partout où elle pensoit qu’il étoit bien employé. Puis s’en vint en Hainnebon sur la mer, qui étoit forte ville et grosse et fort châtel ; et là se tint, et son fils avec li, tout cet hiver. Souvent envoyoit visiter ses garnisons et réconforter ses gens, et payoit moult largement leurs gages. Si me tairai atant de cette matière, et retournerai au roi Édouard d’Angleterre ; et conterai quels choses lui avinrent après le département du siége de Tournay.


CHAPITRE CLIX.


Comment le roi Édouard fit son mandement pour aller lever le siége des Escots de devant Sturmelin ; et comment ceux dudit châtel se rendirent aux Escots ; et comment il eut trêves entre les Anglois et les Escots.


Vous avez ouï ci-dessus recorder[1] comment, le siége durant devant Tournay, les seigneurs d’Escosse avoient repris plusieurs villes et forteresses sur les Anglois, qu’ils tenoient au royaume d’Escosse, et par espécial Haindebourch, qui plus leur avoit hérié et courroucé que nul des autres, par l’avis et soubtilleté de messire Guillaume de Douglas ; et encore étoient Sturmelin qui siéd à vingt lieues de Haindebourch, la cité de Bervich et Rosebourch, Anglois ; et plus n’en y avoit demeuré que tous ne fussent reconquis ; et y séoient les dits Escots à siége fait, et aucuns seigneurs de France avec eux, que le roi Philippe de France y avoit envoyés pour parfaire leur guerre devant le dit châtel de Sturmelin. Et l’avoient tellement étreint et contraint, que les Anglois qui dedans étoient et qui le gardoient ne le pouvoient longuement tenir. Dont il avint que, quand le roi anglois se fut parti du siége de devant Tournay, et retourné en son pays, il fut pleinement et véritablement informé des Escots, comment ils avoient chevauché et reconquis les villes et les châteaux d’Escosse, qui jadis lui avoient tant coûté à prendre ; et séoient encore les dits Escots devant Sturmelin. Si eut le roi anglois en volonté de chevaucher vers Escosse, si comme il fit ; et se mit au chemin entre la Saint-Michel et la Toussaint, et fit un très grand mandement et très fort, que toutes gens d’armes et archers le suissent et vinssent à lui vers Bervich, car là s’en alloit-il, et y faisoit son assemblée[2]. Donc s’émurent toutes manières de gens d’armes parmi Angleterre, et s’en vinrent cette part là où ils étoient semons et mandés ; et mêmement le roi tout devant s’en vint à Bervich, et là s’arrêta, en attendant ses gens qui venoient à grand effort l’un après l’autre.

Les seigneurs d’Escosse qui furent informés de la venue du roi anglois qui venoit sur eux, et qui le dit châtel de Sturmelin avoient assiégé, se hâtèrent tellement et contraignirent ceux de la dite garnison, par assauts d’engins et de canons, que par force les convint rendre aux Escots ; et leur délivrèrent la forteresse, par telle manière qu’ils s’en partiroient sauf leurs corps et leurs membres, mais rien du leur n’emporteroient.

Ainsi recouvrèrent les Escots le châtel de Sturmelin. Ces nouvelles vinrent au roi anglois, qui encore se tenoit à Bervich ; si ne lui furent mie trop plaisans ; et se partit de la dite cité et se trait par devers Duremmes, et passa outre et vint à Neuf-Châtel sur Tyne, et se logèrent ses gens en la dite ville et ès villages d’environ ; et là séjournèrent plus d’un mois, en attendant leurs pourvéances qu’on avoit mises sur mer et qui leur devoient venir. Mais peu leur en vinrent, car leurs vaisseaux eurent si grand’fortune sur mer, entre la Toussaint et la Saint André, que plusieurs de leurs nefs furent péries et allèrent arriver, par vent contraire, voulussent ou non, en Hollande et en Frise. Dont les Anglois, qui se tenoient à Neuf-Châtel et là entour, eurent moult de disette et de cher temps ; et ne pouvoient aller avant ; car s’ils fussent passés, ils n’eussent sçu où fourrer ni recouvrer de vivres ; car l’hiver étoit entré, et

  1. Chapitre 130.
  2. Le mandement du roi pour faire assembler les troupes le 24 janvier 1342, non à Berwick, comme le dit Froissart, mais à Newcastle sur la Tyne, est daté de ce dernier lieu le 4 novembre 1341.