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LIVRE I. — PARTIE I.

les seigneurs et vinrent pardevers Nantes, là où ils tenoient que le comte de Montfort leur ennemi étoit. Si leur avint que les maréchaux de l’ost et les coureurs trouvèrent entre voies une bonne ville et grosse et bien fermée de fossés et de palis : si l’assaillirent fortement. Ceux de dedans étoient peu de gens et petitement armés : si ne se purent défendre contre les assaillans, mêmement contre les arbalétriers gennevois. Si fut tantôt la ville gagnée, toute robée, et bien la moitié arse, et toutes les gens mis à l’épée ; et appelle-t-on la ville Quarquefoue ; et siéd à quatre ou à cinq lieues près de Nantes. Les seigneurs se logèrent cette nuit-là entour. Lendemain ils se délogèrent et se trairent vers la cité de Nantes. Si l’assiégèrent tout autour et firent tendre tentes et pavillons si bellement et si ordonnément que vous savez que François sèvent faire. Et ceux qui étoient dedans pour la garder, dont il y avoit grand’foison de gens d’armes avec les bourgeois, si s’allèrent tous armer, et se maintinrent ce jour moult bellement, chacun à sa défense, ainsi qu’il étoit ordonné. Celui jour entendirent ceux de l’ost à eux loger et aller fourrager ; et aucuns bidaux et Gennevois allèrent près des barrières pour escarmoucher et paleter : et aucuns des soudoyers et des jeunes bourgeois issirent hors encontre eux : si que il y eut trait et lancé, et des morts et des navrés d’un côté et d’autre, si comme il y a souvent en telles besognes.

Ainsi eut là des escarmouches par deux ou par trois fois, tant comme l’ost demeura là. Au dernier il y avint une aventure assez sauvage, ainsi que j’ai ouï recorder à ceux qui y furent ; car aucuns des soudoyers de la cité et des bourgeois issirent hors une matinée, à l’aventure, et trouvèrent jusques à quinze chars chargés de vivres et de pourvéances qui s’en alloient vers l’ost ; et gens qui les conduisoient jusques à soixante, et ceux de la cité étoient bien deux cent : si leur coururent sus et les déconfirent, et en tuèrent les aucuns et firent les chars charrier pardevers la cité. Le cri et le hu en vint jusques en l’ost : si s’alla chacun armer le plutôt qu’il put, et courut chacun après les chars pour rescourre la proie ; et les aconsuirent assez près des barrières de la cité. Là multiplia le hutin très durement ; car ceux de l’ost y vinrent à si grand’foison que les soudoyers en eurent trop grand faix. Toutes voies ils firent dételer les chevaux et les chassèrent dedans la porte, afin que, s’il avenoit que ceux de l’ost obtinssent la place, qu’ils ne pussent r’enmener les chars et les pourvéances si légèrement. Quand les autres soudoyers de la cité virent le hutin et que leurs compagnons avoient trop grand faix, aucuns issirent dehors pour eux aider : aussi firent des autres bourgeois pour aider leurs parens. Ainsi multiplia très durement le hutin ; et en y eut tout plein de morts et de navrés d’un côté et d’autre, et grand’foison de bien défendans et assaillans. Et dura ce hutin moult longuement, car toudis croissoit la force de ceux de l’ost et survenoient toudis nouvelles gens. Tant avint que au dernier messire Hervey de Léon, qui étoit l’un des maîtres conseillers du comte de Montfort et aussi de toute la cité, et qui moult bien s’étoit maintenu et moult avoit réconforté ses gens, quand il vit qu’il étoit point de retraire et qu’ils pouvoient plus perdre à demeurer que gagner, il fit ses gens retraire au mieux qu’il put ; et les défendoit en retraiant et garantissoit le mieux qu’il pouvoit. Si leur avint qu’ils furent si près suivis au retraire, qu’il en y eut grand’foison de morts, et pris bien deux cents et plus des bourgeois de la cité, dont leurs pères, leurs mères et leurs amis furent durement courroucés et dolens. Aussi fut le comte de Montfort, qui en blâma durement messire Hervey, par courroux de ce qu’il les avoit fait sitôt retraire ; et lui sembloit que par le retraire ses gens étoient perdus : de quoi messire Hervey fut durement merencolieux, et ne voulut oncques depuis venir au conseil du comte, si petit non. Si s’émerveilloient durement les gens pour quoi il le faisoit.


CHAPITRE CLVII.


Comment les bourgeois de Nantes livrèrent la cité aux seigneurs de France ; et comment le comte de Montfort y fut pris et amené à Paris et comment il y mourut.


Or avint, si comme j’ai ouï recorder, que aucuns des bourgeois de la cité qui véoient leurs biens détruire dedans la cité et dehors, et avoient leurs enfans et amis en prison, et doutoient encore pis avenir, s’avisèrent et parlèrent ensemble tant qu’ils eurent entr’eux accord de traiter à ces seigneurs de France couvertement, parquoi ils pussent venir à paix et r’avoir leurs enfans et leurs amis quittes et délivrés, qui