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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avoient. Le roi anglois s’en partit moult ennuis, s’il eût pu amender et à sa volonté en fût ; mais il lui convenoit suir partie de la volonté des autres seigneurs et croire leur conseil. Le jeune comte de Hainaut et aussi messire Jean son oncle se fussent aussi bien ennuis accordés à cette partie, si ils eussent aussi bien sçu le convenant de ceux qui étoient dedans Tournay, comme le roi de France faisoit, et si ne fut ce que le duc de Brabant leur avoit dit en secret qu’il détenoit à grand’mésaise ses Brabançons, et, comment que fut, il ne les pouvoit tenir qu’ils ne dussent partir le jour ou lendemain, si accord ne faisoit.

Le roi de France et tout son ost se départit assez liement, car bonnement ils ne pouvoient plus demeurer là endroit, pour la punaisie des bêtes que on tuoit si près de leur logis, et pour le chaud qu’il faisoit ; et si pensoient en leur part avoir l’honneur de cette départie, si comme ils disoient, pour raison de ce qu’ils avoient rescousse et gardée d’être perdue la bonne cité de Tournay, et avoient fait départir cette grand’assemblée qui assiégée l’avoit, et rien n’y avoient fait, combien qu’ils y eussent grands frais mis et dépendus. Les autres seigneurs et ceux de leur partie pensoient aussi bien à avoir l’honneur de cette départie, pour raison de ce qu’ils avoient si longuement demeuré dedans le royaume et assiégé une des bonnes cités que le roi eût, et ars et gâté son pays chacun jour, lui sachant et voyant ; et point ne l’avoit secouru de temps ni d’heure, ainsi qu’il dut ; et au dernier il avoit accordé une trêve, ses ennemis séans devant sa cité, et ardans et gâtans son pays. Ainsi s’en vouloit chacune partie attribuer l’honneur : si en pouvez déterminer entre vous, qui avez ouï les faits et qui les sentez, ce qu’il vous en semble ; car de moi je n’en pense à nullui donner l’honneur plus à l’un que à l’autre, ni en faire partie : car je ne me connois mie en si grands affaires comme en faits et en maniemens d’armes[1].


CHAPITRE CXLVI.


Comment le roi Édouard s’en alla en Angleterre, et comment au parlement d’Arras les trêves furent alongées deux ans entre les deux rois.


Or se départirent les seigneurs du siége de Tournay et s’en ralla chacun en son lieu. Le roi anglois s’en revint à Gand devers sa femme, et assez tôt après il repassa la mer[2] et toutes ses gens, excepté ceux qu’il laissa pour être au parlement à Arras. Le comte de Hainaut s’en ralla en son pays. Et eut adonc une moult noble fête à Mons en Hainaut et joutes de chevaliers, à laquelle messire Girard de Werchin, sénéchal de Hainaut, fut et jouta ; et y fut tellement blessé qu’il en mourut, dont ce fut dommage.

Le roi de France donna à toutes ses gens congé, et puis s’en vint jouer et rafraîchir en la ville de Lille ; et là le vinrent voir ceux de Tournay, lesquels le roi reçut moult liement et vit très volontiers, et leur fit grâce, pourtant que si bel et si vaillamment ils s’étoient tenus et défendus contre leurs ennemis et que rien on n’avoit pris ni conquêté sur eux. La grâce qu’il leur fit fut telle qu’il leur rendit franchement leur loi que perdue avoient de long temps, dont ils furent moult joyeux ; car messire Godemar du Fay et plusieurs autres chevaliers étrangers, devant lui, en avoient été gouverneurs : si firent entre eux prévôt et jurés, selon leur usage ancien.

Quand le roi eut ordonné à son plaisir une partie de ses besognes, il se partit de Lille et se mit au chemin devers France pour revenir à Paris[3]. Or vint la saison que le parlement or-

  1. Si cette phrase et plusieurs autres du même genre, qui se trouvent dans tous les manuscrits, n’avaient pas été omises dans les imprimés, elles auraient vraisemblablement épargné à Froissart le reproche de partialité envers l’Angleterre, qui lui a été fait trop gratuitement, et qu’on a répété tant de fois depuis sans examen.
  2. Édouard arriva en Angleterre le dernier novembre de cette année 1340, suivant le Memorandum, rapporté par Rymer.
  3. On peut commencer à compter ici l’année 1341. Tous les pouvoirs donnés par Édouard à ses plénipotentiaires pour conclure une paix finale, ou du moins pour prolonger les trêves, sont datés de cette année : le premier est du 10 avril 1341, le second du 24 mai. On trouve à la même page un sauf-conduit, en date du 20 mai, accordé par Édouard à Charles de Montmorency et à Mathieu son frère, qui allaient en Angleterre sans doute pour traiter directement avec lui. On voit encore une lettre de ce prince adressée aux Flamands, en date du 18 juin, par laquelle on apprend que la trêve, qui devait expirer le lendemain de la fête de saint Jean-Baptiste, fut prorogée jusqu’au 1er août, jour de la fête de saint Pierre-aux-Liens. On trouve ensuite un troisième pouvoir pour traiter avec la France, daté du 14 juillet ; puis une lettre, en date du