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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

néant, car Hainuyers y survinrent à trop grand’foison. Et vous dis encore, pour tout ramentevoir, à l’entrer des premiers dedans l’abbaye, il y avoit un moine qu’on appeloit damp Froissart qui fit merveille, et en occit que mes-haigna, au devant d’un pertuis où il se tenoit, plus de dix-huit, et n’osoit nul entrer par le lieu qu’il gardoit. Mais finalement il le convint partir ; car il vit que Hainuyers entroient en l’abbaye et avoient pertuisé le mur en plusieurs lieux : si se sauva le dit moine, au mieux qu’il put, et fit tant, qu’il vint à Mortaigne.


CHAPITRE CXXXVIII.


Comment le comte de Hainaut détruisit et ardit la ville et l’abbaye de Saint-Amand ; et puis après ardit et détruisit l’abbaye de Marchiennes.


Quand le comte de Hainaut et messire Jean de Hainaut son oncle et la chevalerie de Hainaut furent entrés en l’abbaye de Saint-Amand, ainsi que vous avez ouï, si commanda le dit comte qu’on mît tout à l’épée, sans nullui prendre à mercy, tant étoit-il courroucé sur ceux de Saint-Amand, pour les dépits qu’ils avoient faits à son pays. Si fut la dite ville moult tôt emplie de gens d’armes ; et bidaux et Gennevois qui là étoient furent enchâssés et quis de rue en rue et d’hôtel en hôtel. Peu en échappèrent qu’ils ne fussent tous morts et occis, car nul n’étoit pris à mercy. Mêmement le sénéchal de Carcassonne y fut occis dessous sa bannière, et plus de deux cents hommes d’armes, que environ lui que assez près. Ainsi fut Saint-Amand détruit ; et retourna le comte, ce propre soir, devant Tournay. Et le lendemain les gens d’armes et la communauté de Valenciennes vinrent à Saint-Amand, et parardirent la ville, et toute l’abbaye, et le grand moûtier ; et brisèrent toutes les cloches ; dont ce fut dommage, car il y en avoit de moult bonnes et mélodieuses ; et si ne leur vint à nul profit qui à compter fasse.

Après la destruction de Saint-Amand, le comte de Hainaut, qui trop durement avoit pris cette guerre en cœur, et qui étoit plus aigre que nul des autres, se départit encore du siége de Tournay, qui avoit en sa route environ six cents armures de fer, et s’en vint ardoir Orchies, Landas et La Celle, et grand’foison de villages là environ, et puis passa, et toute sa route, la rivière de l’Escarp, au dessous de Hanon, et entrèrent en France, et vinrent à Marchiennes, une grosse et riche abbaye, dont messire Aymes de Warinaut étoit capitaine, et avoit avec lui une partie des arbalétriers de Douay. Là eut grand assaut, car le dit chevalier avoit durement garni la première porte de l’abbaye, qui étoit toute enclose et environnée de grands fossés et parfons ; et se défendirent les François et les moines qui dedans étoient moult vassalment. Mais finalement ils ne purent durer contre tant de gens d’armes ; car ils quirent et firent tant, qu’ils eurent des bateaux et les mirent dans l’eau, et entrèrent en l’abbaye. Mais il y eut mort et noyé un chevalier allemand, compagnon au seigneur de Fauquemont, qui s’appeloit messire Buchon de le Wiere[1], dont le dit sire de Fauquemont fut moult courroucé, mais amender ne le put.

À l’assaut de la porte où messire Aymes de Warinaut se tenoit, furent moult bons chevaliers le comte de Hainaut, le sire de Beaumont son oncle et le sénéchal de Hainaut, et firent tant finalement que la porte fut conquise et le chevalier qui la gardoit pris, et morts et occis la plus grand’partie des autres ; et furent pris plusieurs des moines qui laiens furent trouvés, et toute l’abbaye robée et pillée, et puis arse et détruite, et la ville aussi. Et quand ils eurent fait leur emprise, le comte et tous ses gens d’armes, qui furent à la destruction de Marchiennes et en cette chevauchée, s’en retournèrent au siége de Tournay.


CHAPITRE CXXXIX.


Comment les Allemands se partirent du siége de Tournay et vinrent escarmoucber en l’ost du roi de France ; et comment le sire de Montmorency les suivit jusques au pont de Tressin.


Le siége qui fut devant Tournay fut grand et long et bien tenu, et moult y eut le roi anglois grand’foison de bonnes gens d’armes ; et s’y tenoit le dit roi volontiers, car bien la pensoit conquérir, pourtant qu’il pensoit qu’il y avoit grand’foison de gens d’armes et assez escharsement de vivres : pourquoi il les pensoit plutôt avoir par affamer que par assaut. Mais les aucuns disent qu’ils trouvèrent moult de courtoisies en ceux de Brabant, et qu’ils souffrirent par plusieurs fois laisser passer parmi

  1. D’autres manuscrits disent : Buchon de La Bruyère.