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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE CXXVII.


Comment le roi d’Angleterre se partit de Gand et alla mettre le siège devant la cité de Tournay.


Quand le terme dut approcher que les seigneurs dessus nommés se devoient trouver devant Tournay, et que les blés commençoient à murir, le roi anglois se partit de Gand à moult belles gens d’armes de son pays, sept comtes, deux prélats, vingt-huit bannerets, et bien deux cents chevaliers ; et étoient Anglois quatre mille hommes d’armes et neuf mille archers, sans la piétaille[1]. Si s’en vint et passa, et tout son ost, parmi la ville d’Audenarde, et puis passa la rivière de l’Escaut, et s’en vint loger devant Tournay[2] à la porte que on dit de Saint-Martin, au chemin de Lille et de Douay. Assez tôt après, vint son cousin le duc de Brabant, à plus de vingt mille hommes, chevaliers et écuyers, et les communes de ses bonnes villes ; et se logea le dit duc devant Tournay ; et comprenoit son ost grand’quantité de terre ; et étoient les Brabançons logés au Pont à Rièse contre val l’Escaut, mouvant de l’abbaye Saint-Nicholas, revenans vers les près et la porte Valenciennoise. Après étoit le comte Guillaume de Hainaut avec la belle chevalerie de son pays ; et avoit grand’foison de Hollandois et de Zélandois qui le gardoient de près, et servoient ainsi que leur seigneur ; et étoit le comte de Hainaut logé entre le duc de Brabant et le roi d’Angleterre. Après étoit Jaquemart d’Artevelle à plus de soixante mille

  1. Quelques manuscrits disent : sans les pétaulx, tuffes et guieliers. Les pétaulx étaient des paysans enrégimentés, les tuffes et les guieliers des masses d’hommes à pied mal armés et mal habillés, et uniquement destinés à faire nombre et à opposer un corps de résistance.
  2. Édouard établit son quartier à Chin-lez-Tournay, le dimanche, 23 juillet, le lendemain de la fête de la Madeleine. Le 27 du même mois il écrivit à Philippe de Valois la lettre suivante :

    Philip de Valeys, par lonc temps avoms pursui par devers vous, par messages, et toutes autres voyes, que nous savissioms resonables, au fyn que vous nous voulsissiez avoir rendu nostre droit héritage de Fraunce, lequel vous nous avez lonc temps détenu et à grand tort occupé. Et par ce que nous véoms bien que vous estes en entent de persévérer en rostre injuriouse détenue, sans nous faire raysom de nostre demande, sumus nous entrez en la terre de Flandres, come seigneur soverayn de ycele, et passé parmi le pays.

    Et vous signifions que, pris ovesque nous le eyde de nostre seigneur Jehu-Christ, et nostre droit, ovesque le poer du dit pays, et ovesque nos gentz et alliez, regardant le droit que nous avons à l’heritage, que nous détenez à vostre tort, nous nous treoms vers vous, por mettre droit fin sur notre droiture chalaunge, si vous voillez approcher. Et pur ce que si grand poer de gentz assemblez, qui veignent de nostre part, et que bien quidoms que vous averriez de vostre part, ne se purront mie longement tenir ensemble, sans faire gref destruction au people et au pays, la quelle chose chascuns bons christiens doit eschuer, et especialement prince, et autres qui seugnent gouverneurs des gentz ; si desiroms mout, que brief point se prist pour eschuer mortalité des Christiens, ensi comme, la querelle est apparaunt à vous et à nous, que la discussion de nostre chalaunge se sist entre nos deux corps, à la quelle chose nus nous ofroms, par les causes dessus dites, coment que nous pensoms bien le graunt noblesse de vostre corps, de vostre sens, auxi et avisement.

    En ce cas que vous ne vourriez celle voye, que adouques fut mis nostre chalaunge, pour affiner ycele par bataille de corps de cent personnes des plus suffisaunts de vostre part, et nous autres taluns de nos gentz liges.

    Et si vous ne voillez l’une voye ne l’auire, que vous nous assignez certaine journé devant la cité de Tourney, pur combattre, poer contre poer, devant ces dix jours proscheins après la date de ces lettres.

    Et nos offres dessus dites voloms par tout le mount est reconnues, ja que ce est notre désyr, ne mye par orgul, ne surqui dance, mais par les causes dessus dites, au fyn que la volunté notre seigneur Jehu-Christ montre entre nous, repos puisse estre de plus en plus entre Christiens, et que par ceo les ennemis Dieu fussent résistez, et chrétienté en saufeté. Et la voye sir ce que eslire voilles des offres dessus dites, nous voillez signefier par le portour de ces dites lettres et par les vostres, en lui fesaunt hastive déliveraunce.

    Donée de souz nostre Privée seal, à Chyn, sur les champs de leez Tourney, le 26 de jour du mois de Juille, l’an de nostre règne de Fraunce primer, et d’Angleterre quatorze.

    Réponse de Philippe.

    Philip, par la grâce de Dieux, roi de France, à Édouart roi d’Angleterre.

    Nous avoms veu vos lettres apportées à nostre court, de par vous à Phelip de Valeis, en quelles lettres estaient contenuts ascunes requestes, que vous feistes al dit Phelip de Valeis.

    Et pur ceo que les ditz lettres ne venaient pas à nous, come et que les ditz requestes ne estaient pas faites à nous, apert cleirement par le tenor des lettres, nos ne vos feisons nul réponse, nient mye, pur ceo que nos avoms enteuduz par les dits lettres, et autrement, que vos estes entrez en nostre roialme, et à nostre people, mes de volenté, sauntz nul rezon, et noun regardant ceo que homme lige doit garder à son seigneur, car vous estes entrez encontre vostre hommage lige, en nous reconnissant, si come rezon est, roy de Fraunce et promis obéissance fiel, come lon doit promettre à son seigneur lige, si com appert plus clerement par vos lettres patentz, seales de vostre graunt teale lesqueles nos avoms de