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LIVRE I. — PARTIE I.

de Potelles, un appert chevalier, étoit capitaine et gardien, car le comte de Blois, quoiqu’il en fût sire, l’avoit rendu au comte de Hainaut, pourtant qu’il étoit françois, et le comte le tenoit en sa main et le faisoit garder pour les François, si avoient souvent le hutin ceux de la Malmaison et ceux de Landrecies ensemble : dont un jour saillirent hors de la Malmaison les dessus dits Allemands bien montés et bien armés, et vinrent courir devant la ville de Landrecies et accueillirent la proie, et l’emmenoient devant eux, quand les nouvelles et le haro en vinrent à Landrecies entre les Hainuyers qui là se tenoient. Adonc s’arma le sire de Potelles et fit armer ses compagnons, et montèrent à cheval et se partirent pour rescourre aux Allemands leur proie qu’ils emmenoient. Si étoit adonc le sire de Potelles tout devant, et le suivoient chacun qui mieux mieux. Il, qui étoit de grand’volonté et plein de hardiment, abaissa son glaive et écria aux François qu’ils retournassent, car c’étoit honte de fuir. Là avoit un écuyer allemand qu’on appeloit Albrecht de Cologne, appert homme d’armes durement, qui fut tout honteux quand il se vit ainsi chasser. Si retourna franchement et baissa son glaive, et férit cheval des éperons, et s’adressa sur le seigneur de Potelles, et le chevalier sur lui, tellement qu’il le férit sur la targe un si grand horion que le glaive vola en pièces ; et l’Allemand le consuivit par telle manière de son glaive roide et enfumé[1] que oncques ne brisa ni ploya, mais perça la targe, les plates et l’auqueton, et lui entra dedans le corps et le poignit droit au cœur, et l’abattit jus de dessus son cheval navré à mort. Dont vinrent les compagnons Hainuyers, le sire de Bousies, Girard de Mastain, Jean de Mastain, et les autres qui de près le suivoient, qui s’arrêtèrent sur lui quand en ce parti le virent, et le regrettèrent durement ; et puis requirent les François fièrement et asprement en contrevengeant le seigneur de Potelles qui là gissoit navré à mort. Et combattirent et assaillirent si dur Albrecht et sa route qu’ils furent déconfits, morts et pris, ou peu en échappèrent ; et la proie rescousse et ramenée, et les prisonniers aussi, en Landrecies, et le sire de Potelles mort, dont tous les compagnons en furent courroucés durement.


CHAPITRE CXIV.


Comment François et Hainuyers s’entrecouroient sus les uns aux autres, et comment le pays de Hainaut étoit en grand’tribulation.


Après la mort du seigneur de Potelles, le sire de Floyon fut un grand temps gardien de la ville et du châtel de Landrecies ; et couroit souvent sur ceux de Bouchaing, de la Malmaison et du Castel en Cambrésis et des forteresses voisines, qui ennemies leur étoient. Ainsi couroient un jour les Hainuyers, un autre les François. Si y avoit souvent des rencontres, des escarmouches et des rués par terre des uns et des autres ; car au voir dire, tels besognes le requièrent. Si étoit le pays de Hainaut en grand’tribulation et en grand esmay ; car une partie de leur pays étoit arse et exillée ; et si sentoient encore le duc de Normandie sur les frontières, et ne savoient qu’il avoit empensé ; et si n’avoient aucunes nouvelles de leur seigneur le comte. Bien est voir qu’il avoit été en Angleterre où le roi et les barons l’avoient honoré et fêté ; et avoit fait et juré grands alliances au roi anglois ; et s’en étoit parti et allé en Allemagne devers l’empereur Louis de Bavière : c’étoit la cause pourquoi il séjournoit là tant. D’autre part messire Jean de Hainaut étoit allé en Brabant et en Flandre, et avoit montré au dit duc de Brabant et à Jaquemart d’Artevelle la désolation du pays de Hainaut, et comment les Hainuyers leur prioient qu’ils y voulsissent entendre et pourvoir de conseil. Les dessus dits lui avoient répondu que le comte ne pouvoit longuement demeurer, et lui revenu, ils étoient tous appareillés d’aller à tout leur pouvoir là où il les voudroit mener.

Or reviendrons-nous au duc de Normandie, et recorderons comme il assiégea ceux de Thun-l’Évêque.


CHAPITRE CXV.


Comment le duc de Normandie assiégea le châtel de Thun-l’Évêque, et comment ceux de dedans eurent trêves de quinze jours à lui rendre le châtel ou à lui combattre.


Entrementes que le duc de Normandie se tenoit en la cité de Cambray, le dessus dit évêque et les bourgeois du lieu lui remontroient comment les Hainuyers avoient pris et emblé le fort châtel de Thun ; et que par amour, et pour son honneur garder, et le profit du commun pays, il voulsist mettre conseil et entente au r’avoir ;

  1. On durcissait quelquefois le bois des lances au feu.