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LIVRE I. — PARTIE I.

ne faisoient les François point de guet. Et descendirent premièrement le sénéchal de Hainaut et tous les compagnons devant un grand hôtel où ils cuidoient certainement que le duc de Normandie fût ; mais il étoit en un autre hôtel avant ; et léans étoient logés deux grands seigneurs de Normandie, le sire de Bailleul et le sire de Briançon. Si furent assaillis vitement, et la porte de leur hôtel boutée tout outre.

Quand les dits chevaliers se virent ainsi surpris et ouïrent crier : « Hainaut ! au sénéchal ! » si furent moult ébahis : néanmoins ils se mirent à défense ce qu’ils purent ; mais finalement le sire de Bailleul fut là occis, dont ce fut dommage, et le sire de Briançon prisonnier du dit sénéchal ; et enconvenança sur sa loyauté de venir dedans trois jours tenir prison à Valenciennes. Adonc se commencèrent François à émouvoir, et vuidèrent leurs hôtels, et à allumer grands feux et tortis, et réveiller l’un l’autre : mêmement on réveilla le duc de Normandie, et le fit-on armer en grand’hàte, et apporter sa bannière devant son hôtel, et la développer : là se traioient toutes gens d’armes de tous côtés. Quand les Hainuyers aperçurent les François ainsi émouvoir, si ne voulurent plus demeurer ; mais se retrairent bellement et sagement devers leurs chevaux, et montèrent et se partirent, quand ils furent remis ensemble, et emmenèrent dix ou douze bons prisonniers ; et retournèrent sans dommage, car point ne furent poursuis, pour ce qu’il faisoit brun et tard ; et vinrent environ l’aube du jour au Quesnoy : là se reposèrent eux et rafraîchirent, et puis vinrent à Valenciennes.

Or parlerons du duc de Normandie, qui moult courroucé étoit du dépit que les Hainuyers lui avoient fait. Si commanda au matin à déloger et à entrer en Hainaut pour tout ardoir sans déport. Donc s’arroutèrent les charrois et chevauchèrent les coureurs premiers, qui étoient bien deux cents lances ; et en étoient capitaines messire Thibaut de Moreuil, le Gallois de la Baume, le sire de Hambuye, le sire de Mirepoix, le sire de Raineval, le sire de Sempy, messire Jean de Landas, le sire de Hangès et le sire de Cramel. Après chevauchoient les deux maréchaux en grand’route ; messire Robert Bertran et messire Mathieu de Trye ; et étoient bien cinq cents lances ; et depuis, le duc de Normandie avec grand’foison de comtes, barons et de tous autres chevaliers. Si entrèrent lesdits coureurs en Hainaut, et ardirent Forêts, Vertain, Vertigneul, Esquarmain, Vendegies au bois, Vendegies sur Escailion, Bermerain, Galaume, Senlèches et les faubourgs du Quesnoy ; et se logèrent sur la rivière du Vitel[1]. Lendemain ils passèrent ; outre et ardirent Orsainval, Villiers en la cauchie[2], Gomégnies, Maresche, Pois, Preschiel, Amfroipré, Preus, Franoit, Obies et la bonne ville de Bavay, et tout le pays jusqu’à la rivière de Hounnel[3]. Et eut ce jour grand assaut et escarmouche au châtel de Werchin, de la bataille des maréchaux ; mais néant n’y firent, car ils furent bien recueillis et le châtel bien défendu et gardé : et s’envint le duc de Normandie loger sur la rivière de Selles entre Haussi et Saussoir.

Or vous parlerons du seigneur de Fauquemont, qui fut un roide chevalier, d’une grande appertise d’armes qu’il fit.


CHAPITRE CXI.


Comment le sire de Fauquemont atout cent lances se bouta en l’ost des François et en tua et prit plusieurs à prisonniers ; et comment quatre cents lances de François ardirent plusieurs villes et prirent la ville de Trith.


Messire Waleran, sire de Fauquemont, étoit gardien et capitaine de la ville de Maubeuge, et bien cent lances d’Allemands et de Hainuyers avec lui. Quand il sçut que les François chevauchoient, qui ardoient le pays, et ouït les povres gens pleurer, crier et plaindre le leur, si en eut grand’pitié. Si s’arma et fit ses gens armer, et recommanda la ville de Maubeuge au seigneur de Beaujeu et au seigneur de Montegny, et dit à ses gens qu’il avoit très grand désir de trouver les François. Si chevaucha ce jour toudis côtoyant les bois et la forêt de Mourmail. Quand ce vint sur le soir, il entendit et sçut que le duc de Normandie et tout son ost étoient logés sur la rivière de Selles, assez près de Haussi, dont il fut tout joyeux ; et dit brièvement qu’il les iroit réveiller. Si chevaucha cette vesprée tout sagement : environ mie-nuit il passa la dite rivière à gué, et toute sa route. Quand ils furent outre, ils ressanglèrent leurs chevaux et se mi-

  1. Quelques manuscrits disent Vicel ; d’autres Nitel, Cinel, Wincel et Vitel. Tous ces noms paraissent altérés : la position que Froissart assigne à cette rivière convient assez bien à la Ronelle qui prend sa source dans la forêt de Mormal, traverse Valenciennes et se perd dans l’Escaut.
  2. Chaussée.
  3. Honneau qui a sa source près Bavay.