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LIVRE I. — PARTIE I.

lande et Zélande ; et se partit depuis assez tôt, à petite menée, et vint à Dourdrech en Hollande ; et là monta en mer, pour arriver en Angleterre.

Or nous tairons-nous à parler du comte de Hainaut, et parlerons des besognes de son pays, et des avenues qui y avinrent tandis qu’il fut hors.


CHAPITRE CV.


Comment messire Jean de Hainaut mit bonnes garnisons de gens d’armes par toutes les forteresses de Hainaut marchissans au royaume de France.


Vous avez bien ouï recorder comment messire Jean de Hainaut demeura baulx et gouverneur de trois pays, par l’ordonnance du comte. Si obéirent en avant tous les barons et les chevaliers et les hommes des dessus dits pays à lui comme à leur seigneur, jusques à son retour. Si se tint ledit messire Jean de Hainaut en la ville de Mons, et pourvéy le pays, et garnit bien et suffisamment de toutes bonnes gens d’armes, espécialement sur les frontières de France ; et envoya quatre chevaliers en la ville de Valenciennes pour aider à garder et conseiller la ville, les bourgeois et la communauté. Ce furent le sire d’Antoing, le sire de Wargny, le sire de Gomignies, et messire Henry de Husphalise ; et envoya le sénéchal de Hainaut messire Girard de Werchin, atout cent lances de bonnes gens d’armes, en la ville de Maubeuge, et mit le maréchal de Hainaut messire Thierry de Wallecourt en la ville du Quesnoy et le seigneur de Potelles en la ville de Landrecies. Après, il mit en la ville de Bouchain trois chevaliers allemands, qui tous trois se nommoient messire Conrart, et envoya à Escandeuvre messire Girard de Sassegnies, et aussi en la ville d’Avesnes le seigneur de Fauquemont, et aussi par toutes les forteresses de Hainaut, voire sur les frontières du royaume ; et pria et enjoignit à chacun de ces capitaines qu’ils fussent soigneux pour leur honneur d’entendre à ce qui leur étoit enchargé ; et chacun lui enconvenança. Si se traist chacun sire et capitaine avec ses gens en sa garnison, et entendirent de mettre en point, garnir et pourvoir ce dont ils étoient gardes. Or reviendrons-nous au roi de France, et recorderons comment il envoya une grand’chevauchée de gens d’armes en Hainaut pour ardoir et exiller le pays, et en fit le duc de Normandie son fils chef.


CHAPITRE CVI.


Comment le roi Philippe commanda au duc de Normandie son fils qu’il allât détruire le pays de Hainaut, et envoya le comte de Lisle eu Gascogne son lieutenant.


Quand le roi de France eut ouï recorder comment les Hainuyers avoient ars au pays de Thiérasche, pris et occis ses chevaliers et écuyers, et détruit sa bonne ville d’Aubenton, sachez qu’il ne prit mie cette chose en gré, mais commanda à son fils le duc de Normandie, qu’il mît une grosse chevauchée sus, et s’en venist en Hainaut, et sans déport atournast tel le pays que jamais ne fut recouvré ; et le duc répondit qu’il le feroit volontiers. Encore ordonna le roi de France le comte de Lisle[1], Gascon, qui se tenoit adonc à Paris de-lez lui, et que moult aimoit, que il mît une grosse chevauchée de gens d’armes sus, et s’en allât en Gascogne, et y chevauchât comme lieutenant du roi de France, et guerroyât durement et roidement Bordeaux et Bordelois, et toutes les forteresses qui là se tenoient pour le roi d’Angleterre.

Le comte dessusdit obéit au commandement du roi, et se partit de Paris, et fit son mandement à Toulouse à être à Pâques closes[2] ; lequel mandement fut tenu, ainsi que vous orrez ci-après quand lieu et temps sera. Encore renforça grandement le roi de France l’armée qu’il tenoit sur mer, et la grosse armée des écumeurs, et manda à messire Hue Kieret, à Barbevoire et aux autres capitaines qu’ils fussent soigneux d’eux tenir sur les mettes de Flandre, et que nullement ils ne laissassent le roi d’Angleterre repasser, ni prendre port en Flandre ; et si par leur coulpe en demeuroit, il les feroit tous mourir de male mort.

Avec tout ce vous avez bien ouï recorder comment de nouveau les Flamands étoient alliés et conjoints par scel avec le roi d’Angleterre, et lui avoient juré à lui aider à poursuir sa guerre, et lui avoient fait encharger les armes de France ; et cil roi les avoit absous et clamés quittes d’une grand’somme de florins dont ils étoient de jadis obligés et liés au roi de France. Dont il avint que, quand le roi Philippe ouït ces nouvelles, si ne lui plurent mie bien, tant pour ce qu’ils

  1. Il s’agit de Bertrand, comte de Lille-Jourdain.
  2. On appelait Pâques closes le dimanche de l’octave de Pâques, nommé aujourd’hui Quasimodo.