Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1340]
89
LIVRE I. — PARTIE I.

Hainuyers ; et disoit que les Hainuyers lui avoient fait plus de contraire et de dommages, ars, couru et pillé son pays, que nul autre. Si se portèrent adonc tellement les besognes, et fut le roi si dur conseillé sur son neveu le comte de Hainaut et sur ses gens, que les soudoyers de Cambrésis eurent congé et accord d’entrer en Hainaut, et d’y faire aucune envaye ou chevauchée, au dommage du pays.

Quand ces nouvelles furent venues à ceux qui dedans les garnisons de Cambrésis se tenoient, si en furent moult joyeux, et mirent sus une chevauchée de six cents armures de fer. Et se partirent un samedi, après jour faillant, de Cambray, ceux qui ordonnés y étoient ; et aussi à cette heure, ceux du Castel en Cambrésis et ceux de la Malemaison ; et se trouvèrent tous sur les champs ; et vinrent en la ville de Haspre, qui lors étoit une bonne ville et grosse et bien fossoyée, mais point n’étoit fermée ; et si n’étoient les gens en aucune doute, car on ne les avoit point avisés ni escriés de nulle guerre. Si entrèrent les François dedans, et trouvèrent les gens, hommes et femmes, en leurs hôtels : si les prirent à leur volonté, et tout le leur, or et argent, draps et joyaux, et leurs bêtes ; et puis boutèrent le feu en la ville et l’ardirent si nettement que rien n’y demeura, fors les parois.

Dedans Haspre a une prévôté de moines noirs, et grands édifices avec le moûtier, qui se tient de Saint Vast d’Arras, que pillèrent les François et robèrent ; et puis boutèrent le feu dedans et l’ardirent moult vilainement. Quand ils eurent fait leur volonté, ils chargèrent tout leur pillage, et chassèrent devant eux, et s’en retournèrent à Cambray. Ces nouvelles furent tantôt sçues à Valenciennes ; et proprement elles vinrent jusques au comte Guillaume de Hainaut, qui se dormoit en son hôtel, que on dit la Salle. Si se leva, vêtit et arma moult appertement, et fit réveiller toutes ses gens, dont il n’avoit mie grand’foison de-lez lui, fors tant seulement son sénéchal, messire Girard de Werchin, messire Henry d’Antoing, messire Henry de Huffalise, messire Thierry de Wallecourt, le seigneur de Potelles, le seigneur de Floyon, et aucuns chevaliers qui se tenoient de-lez lui, ainsi que tous gentils hommes se tiennent volontiers de-lez leurs seigneurs ; mais ils étoient tous couchés en leurs hôtels. Si ne furent mie sitôt appareillés, armés, montés à cheval, que le comte fut ; car il n’attendit nullui, ainçois s’envint au marché de Valenciennes, et fit sonner les cloches du beffroy à volée. Si s’estourmirent toutes gens, s’armèrent et suirent leur seigneur à effort, qui s’étoit jà mis hors la ville, et chevauchoit roidement devers Haspre, en grand’volonté de trouver ses ennemis.

Quand il eut chevauché environ une heure, nouvelles lui vinrent qu’il se travailloit en vain, et que les François étoient retraits. Adonc se retrait le comte en l’abbaye de Fontenelles, qui étoit assez près de là, où madame sa mère demeuroit, qui fut toute ensoignée de le rappaiser, tant étoit échauffé et airé ; et disoit bien que cette arsure de Haspre, il feroit temprement cher comparer au royaume de France. Sa dame de mère lui accordoit tout ce qu’il disoit, combien qu’elle eût volontiers de cette méprise excusé son frère le roi de France ; mais néant, car le comte n’y vouloit entendre, et disoit : « Il me faut regarder comme hâtivement je me puisse venger de ce dépit que l’on m’a fait, et autant ou plus ardoir en France. »

Quand le comte de Hainaut eut été une espace à Fontenelles de-lez madame sa mère, il prit congé, puis s’en partit et retourna à Valenciennes ; et fit tantôt lettres écrire partout aux prélats de son pays, pour avoir conseil comment il se pouvoit chevir de cette aventure ; et mandoit par ses lettres que tous fussent à Mons en Hainaut au certain jour qui assigné y étoit. Ces nouvelles s’espandirent parmi le pays ; et les sçut moult tôt messire Jean de Hainaut, qui se tenoit à Beaumont, pensant et imaginant comment il pourroit aussi l’arsure de sa terre de Chimay contrevenger. Si ne fut mie courroucé quand il ouït dire et recorder le grand déplaisir que on avoit fait à son neveu le comte, et aussi en quel desdaing il l’avoit pris ; et ne le sentoit mie si souffrant qu’il voulsist longuement souffrir cette vilenie. Si monta à cheval et vint au plutôt qu’il put à Valenciennes, où il trouva le dit comte à la Salle : si se traist vers lui, ainsi que raison étoit.