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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

armes de France et les équartela d’Angleterre ; et en prit en avant le nom de roi de France ; et l’obtint, tant qu’il le laissa par certaine composition, ainsi que vous orrez en avant recorder en cette histoire.


CHAPITRE XCVII.


Comment le roi Édouard s’en retourna en Angleterre et laissa pour garder Flandre le comte de Sallebrin et le comte de Suffolch.


À ce parlement qui fut à Gand, eut plusieurs paroles dites et retournées. Et conseillèrent adonc les seigneurs que, sur l’été qui reviendroit, ils feroient très grand’guerre en France ; et proposèrent et enconvenancèrent ensemble qu’ils assiégeroient la cité de Tournay. De ce furent les Flamands réjouis, car il leur sembla qu’ils seroient forts et puissans assez pour la conquerre ; et si elle étoit conquise et en la seigneurie du roi anglois, de léger ils conquerroient et recouvreroient Lille, Douay et Béthune et toutes les appartenances qui doivent être tenues de la comté de Flandre. Encore fut là proposé et regardé entre ces seigneurs et les conseils des bonnes ville de Flandre et de Brabant, qu’il leur viendroit trop grandement à point que le pays et le comte de Hainaut voulussent être à ce parlement. Mais le comte s’excusa si bellement et si sagement que le roi d’Angleterre et tous les seigneurs s’en tinrent pour contens. Ainsi demeura la chose sur cet état ; et s’en départirent les seigneurs, et s’en retournèrent chacun en son pays. Et le roi anglois prit congé de son cousin le duc de Brabant, et s’en revint à Anvers. Madame la roine sa femme demeura à Gand, et tout son hôtel, qui souvent étoit visité et conforté d’Artevelle, des seigneurs, des dames et des damoiselles de Gand. Assez tôt après fut la navie du roi anglois appareillée sur le hâvre d’Anvers : si monta là en mer, et la plus grand’partie de ses gens, en espérance de retourner en Angleterre et de visiter le pays. Mais il laissa au pays de Flandre deux comtes, sages chevaliers et vaillans durement, pour tenir à amour les Flamands, et pour mieux montrer que leurs besognes étoient siennes. Ce furent messire Guillaume de Montagu comte de Salebrin, et le comte de Suffolch[1]. Cils s’en vinrent en la ville d’Ypres et tinrent là leur garnison, et guerroyèrent tout l’hiver moult forment deux de Lille et de là environ. Et le roi anglois nagea tant par mer qu’il arriva à Londres, environ la Saint André[2], où il fut moult conjoui de ceux de son pays qui désiroient sa venue ; car il n’y avoit été de long temps. Si vinrent à lui les plaintes de la destruction que les Normands et les Picards avoient faite de la bonne ville de Hantonne. Si fut le roi anglois moult courroucé de la désolation de ses gens ; ce fut bien raison ; mais il les rappaisa au plus bel qu’il pût, et leur dit que s’il venoit à tour[3] qu’il leur ferait cher comparer, ainsi qu’il fit en cette année mêmement, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire.


CHAPITRE XCVIII.


Comment messire Hue Kieret et ses compagnons conquirent grand avoir en Angleterre et la grand’nef qui s’appeloit Christophe ; et comment le roi commanda courir et ardoir la terre de messire Jean de Hainaut.


Or vous conterons du roi Philippe de France qui étoit retrait vers Paris, et avoit donné congé à tout son grand ost, et fit durement renforcer sa grosse navie qu’il tenoit sur mer, dont messire Hue Kieret, Bahuchet et Barbevoire étoient capitaines et souverains. Et tenoient ces trois maîtres écumeurs grand’foison de soudoyers Gennevois, Normands, Picards et Bretons ; et firent en cet hiver plusieurs dommages aux Anglois ; et venoient souvent courir jusques à Douvres et à Zandvich, à Wincesée, à Rie et là environ sur les côtes d’Angleterre ; et les ressoingnoient durement les Anglois, car cils étoient si forts sur mer que plus de quarante mille soudoyers étoient en leur compagnie ; et ne pouvoit nul issir, ni partir d’Angleterre, qu’il ne fût vu et sçu, et puis pillé et robé ; et tout mettoient à mort. Si conquirent ces dits ma-

  1. Ce récit n’est pas tout-à-fait exact. Édouard, pour faire consentir le duc de Brabant à son passage en Angleterre, s’engagea par des lettres datées d’Anvers le 4 décembre 1339, à revenir en Flandre à la fête de saint Jean-Baptiste de l’année suivante 1340, et à laisser pour otages de son retour Henri de Lancastre, comte de Derby, et Guillaume de Montagu, comte de Salisbury. Il promit de plus qu’au dimanche de la mi-carême de la même année les comtes de Northampton et de Suffolk viendraient se joindre aux deux autres otages.
  2. Cette date est fausse : suivant le Memorandum rapporté par Rymer, Édouard débarqua en Angleterre le 21 février 1340, et se rendit le même jour à Westminster.
  3. Cela veut dire : si son tour venait.