Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
[1339]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

de Beaumont ne s’en voulut oncques déporter ni délaisser, si eut faite son entreprise ; et puis s’en retourna devers l’ost du roi qui étoit logé en l’abbaye de Farvaques[1]. Endementres que ces gens d’armes couroient ainsi tout le pays, vinrent bien six vingts lances d’Allemands, dont le sire de Fauquemont étoit chef, jusques en Nouvion en Thierasche, une bonne grosse plate ville. Si étoient communément les gens de Nouvion retraits et boutés dedans les bois ; et y avoient mis et porté le leur à sauveté, et s’étoient fortifiés de roullis et de bois coupé et abattu environ eux. Si chevauchèrent les Allemands cette part ; et y survint monseigneur Arnoul de Blakehen et sa route ; et assaillirent ceux de Nouvion, qui dedans les bois s’étoient boutés ; lesquels se défendirent tant qu’ils purent : mais ce ne fut mie grandement, car ils ne tinrent, point de couroi et ne purent durer à la longue contre tant de bonnes gens d’armes. Si furent ouverts et leur fort conquis, et mis en chasse ; et en y eut bien, que morts que navrés, bien quarante, et perdirent tout ce que apporté là avoient. Et ainsi étoit, et fut ce pays de Thierasche couru et pillé sans déport ; et en faisoient les Anglois leur volonté. Si se partit le roi Édouard de Farvaques où il étoit logé, et s’en vint à Montreuil ; et là se logea un soir ; et lendemain il vint et tout son ost, loger à la Flamengerie ; et fit toutes ses gens loger environ lui, où il avoit plus de quarante quatre mille hommes : et eut conseil et intention qu’il attendroit là le roi Philippe et son pouvoir, et se combattroit à lui comment qu’il fut.


CHAPITRE LXXXIX.


Comment le roi de France fit ses gens loger à Buironfosse pour là attendre le roi d’Angleterre ; et comment le comte de Hainaut s’en vint le servir.


Le roi de France étoit parti de Saint-Quentin atout son plus grand effort ; et toujours lui croissoient gens, et venoient de tous pays. Si exploita tant ledit roi et tout son ost qu’ils vinrent à Buironfosse ; et là s’arrêta le dit roi, et commanda à toutes ses gens loger et arrêter ; et dit qu’il n’iroit plus avant, tant qu’il eut combattu le roi anglois et tous ses alliés, puisqu’il étoit à deux lieues près.

Si très tôt que le comte Guillaume de Hainaut, qui se tenoit au Quesnoy, tout pourvu de gens d’armes, put savoir que le roi de France étoit logé et arrêté à Buironfosse, en espoir de combattre les Anglois, il se partit du Quesnoy à plus de cinq cents lances, et chevaucha tant qu’il vint en l’ost du roi de France, et se représenta au dit roi son oncle, qui ne lui fit mie si liée chère que le comte voulut, pour cause de ce qu’il avoit été devant Cambray avec son adversaire le roi anglois et fortement apovri et couru Cambrésis. Nonpourquant le comte s’en porta assez bellement, et s’excusa si sagement au roi son oncle, que le roi et tout son conseil pour cette fois s’en contentèrent assez bien ; et fut ordonné des maréchaux, le maréchal Bertrand[2] et le maréchal de Trie[3], à soi loger au plus près des Anglois.


CHAPITRE XC.


Comment la journée fut prise et assignée entre les deux rois pour eux combattre.


Or sont ces deux rois de France et d’Angleterre logés entre Buironfosse et la Flamengerie, en plein pays, sans nul avantage, et ont grand désir, si comme ils montrent, d’eux combattre. Si vous dis pour certain qu’on ne vit oncques si belle assemblée de grands seigneurs qu’il y eut là ; car le roi de France y étoit lui quatrième de rois : premièrement avec lui étoient le roi Jean de Behaigne, le roi de Navarre, le roi d’Escosse ; aussi de ducs, de comtes et de barons tant que sans nombre ; et toujours lui croissoient gens de tous les pays du monde.

Quand le roi anglois fut arrêté à la Capelle en Thierasche, ainsi que vous avez ouï, et il sçut de vérité que le roi Philippe son adversaire étoit à deux petites lieues de lui, et en grand’volonté de combattre, si mit les seigneurs de son ost ensemble ; premièrement le duc de Brabant son cousin, le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Blankebourch, le comte de Mons, messire Jean de Hainaut, messire Robert d’Artois, et tous les prélats et barons d’An-

  1. Fervaques, ancienne abbaye de l’ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Noyon, qui est maintenant détruite.
  2. Robert Bertrand, seigneur de Briquebec, fait maréchal de France en l’année 1328.
  3. Mathieu de Trie créé maréchal de France en 1318.