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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en Hainaut, et y fut grandement fêté dudit comte et des chevaliers du pays. Et toujours passoient ses gens et se logeoient sur le plein pays, ainsi qu’ils venoient, et trouvoient tous vivres appareillés pour leurs deniers : les aucuns payoient et les autres non. Ainsi s’approchèrent les besognes du roi anglois ; et s’envint à Valenciennes, et y entra tant seulement lui douzième de chevaliers ; et jà étoient venus le comte de Hainaut et messire Jean de Hainaut son oncle, le sire d’Enghien, le sire de Fagnoelles, le sire de Werchin, le sire de Haverech, et plusieurs autres qui se tenoient de-lez le comte leur seigneur, et reçurent le roi moult liement ; et l’emmena le dit comte par la main jusques en la salle, qui étoit arrée et appareillée pour le recevoir. Dont il advint, en montant les degrés de la salle, que l’évêque de Lincolle, qui là étoit présent, leva sa voix et dit : « Guillaume d’Auxonne, évêque de Cambray, je vous amoneste, comme procureur du roi d’Angleterre, vicaire de l’empereur de Rome, que vous veuillez ouvrir la cité de Cambray ; autrement vous vous forfaites, et y entrerons par force. » Nul ne répondit à cette parole, car l’évêque n’étoit point là présent. Encore parla le dit évêque de Lincolle et dit : « Comte de Hainaut, nous vous amonestons, de par l’empereur de Rome, que vous veniez servir le roi d’Angleterre son vicaire devant la cité de Cambray, à ce que vous devez de gens. » Le comte qui là étoit répondit et dit : « Volontiers. » À ces paroles ils entrèrent en la salle et menèrent le roi anglois en sa chambre. Assez tôt après fut le souper appareillé, qui fut grand, bel, et bien ordonné, lendemain au matin se partit le roi anglois de Valenciennes[1], et s’en vint à Haspre, et là se logea et reposa deux jours, attendant ses gens, qui venoient ; dont il en y avoit grand’foison tant d’Angleterre comme d’Allemagne.

  1. Une lettre d’Édouard conservée par Robert d’Avesbury dans laquelle il rend compte de l’incursion qu’il avait faite en France, nous apprend qu’il sortit de Valenciennes le lundi 20 septembre, veille de la fête de saint Mathieu. Cette pièce fournit encore quelques autres dates qui peuvent servir à éclaircir, quelquefois même à rectifier le récit de Froissart. Comme l’ouvrage de Robert d’Avesbury n’est pas commun même en Angleterre, il ne sera pas inutile de transcrire ici cette lettre.
    Lettre d’Édouard.

    « Edward, etc. À notre cher filtz et as honourabless Pieres en Dieux J. par mesme la grâce Erchevesque de Cauntirbirs, R. évesque de Londres, W. de la Zouche notte Tresorer et as autres de notre Consail en Angleterre, Salutz. La cause de notre long demeore en Brabancz si vous avoms souvent foilz fait assavoir avaunt cez heures et bien est conuz à ascun de vous. Mais pour ceo q’a darrain gaires d’aide nous ne vient hors de notre Roialme, et la demeore nous estoit si grevouse et noz gentz à si graunt meschief, et noz alliés trop peisauntz à la busoigne, noz messagiers auxint qu’avoient taunt de temps demourrez vers lez cardinals et le Consail de Fraunce, pour tretir de peès, ne nous porteront unqes aultres offres, forque nous n’averoms une palme de terre el roialme de Fraunce, et unqore notre cosyn Phelippe de Valoys avoit toutz jours juré, à ceo qe nous avoioms novelx, qe nous ne ferioms jammès demeore une jour, od notre host, en Fraunce qu’il ne nous dunroit bataille : nous, toutz jours affiauntz en Dieux et notre droit, si feismes venir devant nous noz alliés et lez feismes certeinement monstrer qe par chose nulle nous ne vorrioms pluis attendre, einz irioms avaount sour la pursieute de notre droit, pranaunt la grâce que Dieux nous donroit. Eaux véauntz le dishonnour qe lour eust avenuz s’ilz eussent demourez derère nous, s’assentirent pour nous pursieure. Journé fust pris d’estre toutz en la marche dedeinz Fraunce à certain jour, as queux jour et lieu nous y fusmes tuz prestz ; et nos Alliés viendront après selonc ceo q’ils poient. Le lundy1 en la veille saint Matheu, si passâmes hors de Valenciens, et mesme le jour commença home à ardoir en Cambresyn et arderount tut la semaigne suaunt illeosques, issint qe celle pais est mult nettement destruit come de blées et de bestaille et d’aultres biens. Le samady suaunt2 venismes à Markeyngne3 q’est entre Cambré et Fraunce, et commencea home d’ardoir dedeinz Fraunce mesme le iour. Et nous avoms enlenduz que le dist seir Phelip se trait devers nous à Perroun en venaunt à Noyoun ; si tenismes toutz jours notre chemyn avaunt, nos gentz ardauntz et destruiantz communément eu large de douze leukes ou quatorze de pays. Le samady proschein devant la feste seint Luke4 si passâmes le eawe d’Eise et loggames et demourasmes illeosqes le dismenge, quelle jour nous avoioms noz alliés devaunt nous qui nous monstrerent qe lours vitailles estoient pours despenduz, et que le yver estoit durement aproschaunt q’ils ne pooient demourrer, einz y coviendroit retrere sour la marche à retourner. Quant lours vitailles furent des-