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LIVRE I. — PARTIE I.

grand temps ; et renvoyoit souvent pardevers le roi de France pour soi excuser, et pour prier qu’il ne crût nulle mauvaise information contre lui.


CHAPITRE LXXII.


Comment les seigneurs de l’Empire mandèrent au roi d’Angleterre qu’ils étoient prêts, ainsi que convent étoit, mais que le duc de Brabant le fut.


Le jour approcha et vint que le roi anglois attendoit la réponse de ces seigneurs, mais ils se firent suffisamment excuser ; et mandèrent au roi qu’ils étoient tous prêts et appareillés eux et leurs gens, ainsi que convent étoit, mais que il fit tant au duc qu’il s’appareillât, qui étoit le plus prochain, et qui le plus froidement, ce leur sembloit, s’appareilloit, et que, aussitôt qu’ils sauroient de certain que le duc seroit appareillé, ils se mouveroient et seroient au commencement de la besogne où le duc de Brabant seroit. Sur ces réponses le roi d’Angleterre fit tant qu’il parla au duc de Brabant son cousin, et lui montra le mandement que ces seigneurs lui avoient envoyé. Si le pria en amitié et requit par lignage[1] qu’il se voulût sur ce aviser, par quoi aucune deffaute ne fût trouvée en lui ; car endroit soi s’appercevoit bien qu’il s’appareilloit froidement ; et s’il n’en faisoit autre chose, il doutoit qu’il ne perdît l’aide et confort de ces seigneurs d’Allemagne, par faute de lui.

Quand le duc ouït ce, il en fut tout confus, et dît qu’il s’en conseilleroit. Quand il fut longuement conseillé, il répondit au roi : qu’il seroit assez tôt prêt et appareillé quand besoin en seroit, mais il auroit ainçois parlé à tous ces seigneurs. Adonc le roi apperçut bien qu’il n’en auroit autre chose, et que le courroucer ne lui pouvoit rien valoir : si accorda au duc son propos, et dit qu’il enverroit encore à ces seigneurs certains messages de par lui, qu’ils fussent à une certaine journée encontre lui, là où il leur plairoit le mieux. Ainsi se départirent le roi et le duc d’ensemble ; et furent devers les seigneurs de l’Empire messages envoyés, et certain jour assigné qu’ils venroient. Ce fut à la Notre Dame mi-août ; et fut mis et assis ce parlement par tous communs accords à Halle[2], pour cause du jeune comte de Hainaut, qui y devoit être avec messire Jean de Hainaut son oncle.


CHAPITRE LXXIII.


Comment les seigneurs de l’Empire dirent au roi qu’ils n’avoient point de cause de défier le roi de France sans le congé de l’empereur ; et qu’il veuille tant faire qu’il ait son accord.


Quand ces seigneurs de l’Empire furent assemblés, comme dessus est dit, en la ville de Halle, ils eurent grand parlement et long conseil ; car la besogne leur estraindoit durement. Ennuis poursuivoient leurs convenances, et ennuis en deffailloient pour leur honneur. Quand ils furent très longuement conseillés, ils répondirent d’un commun accord au roi anglois, et dirent ainsi : « Cher sire, nous nous sommes longuement conseillés, car votre besogne nous est assez pesante ; car nous ne voyons mie que, tout considéré, nous ayons point de cause de défier le roi de France à votre occasion, si vous ne pourchassez que vous ayez l’accord de l’empereur[3] et qu’il nous commande que nous défions le roi de France de par lui, car il aura bien droite occasion et vraie, par raison, si comme nous vous dirons ; et dont en avant ne demeurera nulle faute en nous que nous ne soyons appareillés de faire ce que promis vous avons, sans nulle excusation. La cause que l’empereur peut avoir de défier le roi de France est telle : il est certain que enconvenancé a été de long temps, scellé et juré, que le roi de France, quelconque soit, ne peut, ni ne doit tenir ni acquérir rien sur l’Empire ; et ce roi Philippe, qui à présent règne, a fait le contraire, contre son serment ; car il a acquis le châtel de Crevecœur en Cambrésis et le châtel de[4] Arleux en Pailluel, et plusieurs autres héritages en la comté de Cambrésis[5], qui est terre de l’Empire

  1. En considération de leur parenté.
  2. Petite ville du Hainaut sur les confins du Brabant.
  3. Louis V, duc de Bavière.
  4. Plusieurs manuscrits et les imprimés disent mal Alues. Le véritable nom est Arleux, ancienne ville du Cambrésis, située sur le Senset, dans le canton appelé Pailluel, Puele, ou Peule, du mot latin pabula, à cause de ses pâturages, selon quelques étymologistes ; du mot populetum suivant d’autres, à cause des peupliers qu’on y trouvait en abondance.
  5. Philippe de Valois ne se borna pas à ces premières acquisitions ; il acquit encore en 1340, de Béatrix de Saint-Paul, la châtellenie de Cambrai, et se rendit maître de la ville : mais après la mort du roi Jean, les rois de France n’en furent plus que les protecteurs et se réservèrent, seulement la châtellenie, dont ils investissaient leur fils aîné.