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LIVRE I. — PARTIE I.

devant eux, et fait entre eux des nouveaux chevaliers jusques à seize ; et pouvoient bien être environ cinq mille tous comptés, bien apperts bacheliers et compagnons, hardis et légers ainsi qu’ils le montrèrent.

Et là étoit messire Guy de Flandre, Frère au comte Louis de Flandre, un bon et sûr chevalier, mais bâtard étoit, qui admonestoit et prioit tous les compagnons de bien faire. Et là étoient messire Ducres de Hallewyn, messire Jean de Rodais, messire Gille de l’Estrief, qui fut là fait chevalier, messire Simon et messire Jean de Brukedent, qui y furent faits chevaliers aussi, et Pierre d’Englemoustier, et maints compagnons bacheliers et écuyers et apperts hommes d’armes, ainsi qu’ils le montrèrent, et qui moult désiroient la bataille aux Anglois. Et étoient tous ceux ordonnés et rangés à l’encontre des Anglois ; et n’y eut rien parlementé ni devisé, car les Anglois qui étoient désirans de les assaillir, et ceux de défendre, crièrent leur cri, et firent traire leurs archers moult fort et moult roide, et tant que ceux qui le hâvre gardoient et défendoient en furent si essonniés, que, ils voulussent ou non, il les en convint reculer. Et en y eut du trait à ce premier coup moult de mehaignés ; et prirent terre les barons et chevaliers d’Angleterre, et s’en vinrent combattre à haches, à épées et à glaives l’un à l’autre. Et là y eut plusieurs belles bacheleries et appertises d’armes faites ; et moult vaillamment se combattirent les Flamands : aussi moult bachelereusement les requirent les Anglois. Et là fut moult bon chevalier le comte de Derby : et s’avança des premiers si avant, qu’il fut, en lançant de glaives, mis par terre ; et lui fut là messire Gautier de Mauny bon confort, car par appertises d’armes il le releva et ôta de tous périls, en écriant : « Lancastre, au comte de Derby ! » Et adonc ils approchèrent de tous côtés, et y eut plusieurs mehaignés, et par espécial plus des Flamands que des Anglois ; car les archers d’Angleterre qui continuellement traioient, leur portèrent très grand dommage.


CHAPITRE LXX.


Comment les Anglois déconfirent ceux de Gagant ; et y fut pris le frère bâtard du comte de Flandre, qui puis se rendit Anglois.


À prendre terre au hâvre de Gagant fut la bataille dure et fière, car les Flamands, qui là étoient et qui la ville et le hâvre gardoient et défendoient, étoient très bonnes gens et de grand’appertise pleins ; car par élection le comte de Flandre les y avoit mis et établis pour garder ce passage contre les Anglois : si s’en vouloient acquitter bachelereusement et faire leur devoir en tous états, ainsi qu’ils firent. Là étoient des barons et chevaliers d’Angleterre, premièrement, le comte Derby, fils au comte Henry de Lancastre au-tort-Col, le comte de Sufforch, messire Regnault de Cobham, messire Louis de Beauchamp, messire Guillaume Fitz-Warvich[1], le sire de Beauclerc, messire Gautier de Mauny et plusieurs autres chevaliers et bacheliers, qui très vassaument se portoient et assailloient les Flamands. Là eut dure bataille et fort combattue, car ils étoient main à main ; et là firent les plusieurs moult de belles appertises d’armes et d’un côté et d’autre ; mais finalement les Anglois obtinrent la place, et furent les Flamands déconfits et mis en chasse ; et en y eut plus de quatre mille morts, que sur le hâvre, que sur les rues, que dedans les maisons. Et là fut pris messire Guy bâtard de Flandre, et morts messire Ducres de Hallewyn, messire Jean de Rodais, les deux frères de Brukedent, et messire Gille de l’Estrief, et plusieurs autres ; environ vingt six chevaliers et écuyers y furent morts en bon convenant. Et fut la ville prise, pillée et robée, et tout l’avoir apporté et mis ès vaisseaux avec les prisonniers, et fut la dite ville toute arse sans déport ; et retournèrent arrière les Anglois sans dommage en Angleterre, et recordèrent au roi leur aventure, lequel fut moult joyeux quand il vit et sçut comment ils avoient exploité. Si fit à messire Guy de Flandre créanter sa foi et obliger prison ; lequel se tourna Anglois en cette même année et devint homme du roi d’Angleterre de foi et d’hommage ; de quoi le comte de Flandre son frère fut moult courroucé.


CHAPITRE LXXI.


Comment le roi d’Angleterre vint par deçà la mer, et comment il montra à ses alliés ses grands frais et qu’ils voulussent tenir ce que promis lui avoient ; et quelle chose ils lui répondirent.


Après la déconfiture de Gagant ces nouvelles s’épandirent en plusieurs lieux : si en furent

  1. Les imprimés français et anglais disent : Messire Guillaume, fils au comte de Warwick. Fitz-Warvick signifie : fils naturel du comte de Warwick.