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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ne fût durement informé contre lui, pour occasion des Anglois, et que s’il avenoit que l’emprise du roi d’Angleterre ne vînt à son chef, que le roi de France ne le voulût guerroyer, et lui fit comparer ce que les autres avoient accordé. Si envoya de son conseil au roi de France monseigneur Louis de Cranehen[1], sage chevalier durement, et plusieurs autres de son conseil, pour le excuser, et prier au roi qu’il ne voulût croire nulle mauvaise information contre lui ; car moult ennuis il feroit aucune alliance ou convenance contre lui : mais le roi d’Angleterre étoit son cousin germain, si ne lui pouvoit bonnement escondire sa venue dedans son pays ni de ses gens, leurs frais payans ; mais plus avant il n’en feroit rien qui dût être au déplaisir du roi. Le roi le crut cette fois ; si s’en apaisa atant. Et toute fois le duc ne laissa mie pour ce qu’il ne retînt des gens d’armes en Brabant et ailleurs là où il les pouvoit et pensoit avoir, jusques à la somme que enconvenancé avoit au roi d’Angleterre.

Quand les dessusdits seigneurs d’Angleterre eurent fait en partie ce pourquoi ils avoient passé la mer, ils se partirent de Valenciennes où ils tenoient leur souverain séjour, premièrement l’évêque de Lincolle, messire Regnault de Cobham, et les autres ; et vuidèrent Hainaut et vinrent à Dourdrech en Hollande, et montèrent là en mer, pour eschever le passage de Gagant, où les dessusdits chevaliers de Flandre se tenoient en garnison de par le roi de France et le comte de Flandre, si comme on disoit ; et s’en vinrent, au mieux qu’ils purent et au plus couvertement, arrière en leur pays, devers le roi anglois, leur seigneur, qui les reçut à grand’joie. Si lui recordèrent tout l’état des seigneurs de par deçà, premièrement du duc de Brabant, du comte de Juliers, du duc de Guerles, de l’archevêque de Coulongne, de messire Jean de Hainaut, du seigneur de Fauquemont, et des alliés ; et sur quel point ils s’étoient accordés à lui ; et à quelle quantité de gens d’armes chacun le devoit servir ; et aussi quelle chose chacun devoit avoir. À ces paroles entendit le roi Anglois volontiers, et dit que ses gens avoient bien exploité ; mais trop durement plaignit la mort du comte de Hainaut de qui il avoit la fille, et disoit qu’il avoit perdu en lui un très grand confort ; si lui convenoit-il porter et faire à l’avenant. Encore racontèrent les dits seigneurs au roi le convenant de ceux qui se tenoient en la garnison de Gagant et qui hérioient ses gens tous les jours ; et comment, pour doute d’eux, ils étoient revenus par Hollande, et avoient élongé grandement leur chemin ; dont dit le roi qu’il y pourverroit temprement de remède. Si ordonna assez tôt après le comte de Derby son cousin et messire Gautier de Mauny, qui jà avoit fait tant de belles bacheleries en Escosse qu’il en étoit durement alosé, et aussi aucuns autres chevaliers et écuyers anglois, qu’ils se voulussent traire devers Gagant et combattre ceux qui là se tenoient. Les dessusdits obéirent au commandement du roi leur seigneur et firent leurs pourvéances et leur amas de gens d’armes et d’archers à Londres, et chargèrent leurs vaisseaux en la Tamise. Quand ils furent venus et appareillés, ils étoient environ cinq cents armures de fer et deux mille archers. Si entrèrent en leur navie qui étoit toute prête, et puis se désancrèrent, et vinrent de cette marée la première nuit gésir devant Gravesainde. À lendemain ils désancrèrent et vinrent devant Mergate. À la tierce marée ils tirèrent les voiles à mont et prirent le parfont ; et nagèrent tant par mer qu’ils virent Flandre : si arroutèrent leurs vaisseaux et mirent en bon convenant ; si vinrent assez près de Gagant à heure de nonne. Ce fut la veille saint Martin en hiver, l’an de grâce mil trois cent trente sept.


CHAPITRE LXIX.


Comment les Anglois prirent terre sur les Flamands qui gardoient le passage de Gagant et vinrent combattre main à main.


Quand les Anglois virent la ville de Gagant, où ils tendoient à venir et combattre à ceux qui dedans se tenoient, si s’avisèrent qu’ils avoient le vent et la marée pour eux et que au nom de Dieu et Saint George ils approcheroient. Adonc firent-ils sonner leurs trompettes, et s’armèrent et appareillèrent vitement, et ordonnèrent les vaisseaux, et mirent les archers devant, et singlèrent fort vers la ville. Moult bien avoient les gaites et les gardes, qui en Gagant se tenoient vu approcher cette grosse armée : si supposoient assez que c’étoient Anglois ; parquoi ils s’étoient jà tous armés et rangés sur les dikes et sur le sablon, et mis leurs pennons par ordonnance

  1. Butkens nomme ce chevalier Léon de Crainhem, et le qualifie sire de Grobbendonck.