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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

liers d’Escosse chevauchoient à la fois et venoient par vesprées et par ajournements[1] réveiller l’ost des anglois ; mais petit y faisoit, car l’ost du roi Anglois étoit si suffisamment bien gardé et eschaugueté, et par si bonne manière, et par si grand avis, que les Escots n’y pouvoient entrer, fors à leur dommage, et y perdoient souvent de leurs gens.

Quand ceux de Bervich virent qu’ils ne seroient secourus ni confortés de nul côté, et aussi que le roi anglois ne partiroit point de là si en auroit eu sa volonté, et que vivres leur appétiçoient, et leur étoient clos les pas de la mer et de terre, parquoi nul ne leur en pouvoit venir, si se commencèrent à aviser, et envoyèrent traiter pardevers le roi anglois qu’il leur voulût donner et accorder une trêve à durer un mois ; et si dedans ce mois le roi David leur sire, ou autre pour lui, ne venoit là si fort qu’il levât le siège, ils rendroient la cité, sauf leurs corps et leurs biens, et que les soudoyers qui dedans étoient s’en pussent aller s’ils vouloient en leur pays d’Escosse, sans recevoir point de dommage.

Le roi anglois et son conseil entendirent à ce traité ; et ne fut mie sitôt accordé, car le roi anglois les vouloit avoir simplement, pour faire des aucuns sa volonté, pourtant qu’ils s’étoient tant tenus contre lui ; mais finalement il s’accorda à ce, par le bon avis et conseil qu’il eut de ses hommes ; et aussi messire Robert d’Artois y rendit grand’peine, qui avoit été en ces chevauchées toujours avec lui[2], et qui lui avoit jà dit et montré par plusieurs claires voies combien prochain il étoit de la couronne de France, dont il se devoit tenir héritier par la succession du roi Charles son oncle dernièrement trépassé. Si eût vu volontiers le dit messire Robert que le roi anglois mût guerre aux François, pour lui contrevenger des dépits que on lui avoit faits, et que le roi se fût parti d’Escosse, à quelque meschef que ce fût, et retrait vers Londres. Si que ces paroles et plusieurs autres inclinèrent le roi à ce que ce traité de Bervich se passât. Et furent les trêves accordées de ceux de dehors à ceux de dedans, le mois tout accompli[3] ; et le signifièrent ceux de Bervich à ceux de leur côté bien et à point, au roi d’Escosse leur seigneur et à son conseil, qui ne purent voir ni imaginer voie ni tour qu’ils fussent forts pour combattre le roi anglois ni lever le siège. Si demeura la chose en cet état, et fut la cité de Bervich rendue au chef d’un mois au roi anglois, et aussi le châtel qui moult est bel et moult fort au dehors de la cité ; et en prit le maréchal de l’ost la saisine et la possession de par le roi anglois ; et vinrent les bourgeois de la cité en l’ost faire hommage et féauté au dit roi, et jurèrent et reconnurent à tenir la cité de Bervich de lui. Après y entra le roi à grand’solennitê de trompes et de nacaires, cornemuses, claronceaux et tambourins ; et y séjourna depuis douze jours ; et y établit un chevalier à gardien et à souverain, qui s’appeloit messire Édouard de Bailleul[4] ; et quand il se partit de Bervich, il laissa avec le dit chevalier plusieurs jeunes chevaliers et écuyers, pour aider à garder la terre conquise sur les Escots et les frontières d’icelui pays. Si s’en retourna le roi vers Londres et donna à toutes manières de gens congé, et s’en ralla chacun en son lieu ; et lui-même s’en revint à Windsore, où le plus volontiers se tenoit, et messire Robert d’Artois de-lez lui, qui ne cessoit nuit ni jour de lui remontrer quel droit il avoit à la couronne de France, et le roi y entendoit volontiers.


CHAPITRE LIX.


Comment messire Guillaume de Montagu et messire Gautier de Mauny se portèrent vaillamment contre les Escots, dont ils furent grandement en la grâce du roi Édouard.


Ainsi alla en ce temps de la chevauchée du roi anglois sur les Escots : il gâta et exilla la

  1. C’est-à-dire le soir et le matin à la pointe du jour.
  2. Robert d’Artois était encore en France quand Édouard fit le siège de Berwick : il ne passa en Angleterre que vers le commencement de l’année suivante 1334.
  3. La trêve, ou plutôt la suspension d’armes arrêtée entre le roi d’Angleterre, Patrick Dunbar, comte de la Marche, et Guillaume Keith, fut signée les 15 et 16 juillet, pour durer jusqu’au 20 du même mois, jour de sainte Marguerite, au lever du soleil. Ainsi la suspension dura environ 5 jours, et non pas un mois, comme le dit Froissart. Il fut stipulé dans le traité que si, durant cet intervalle, les Écossais ne venaient pas assez en force pour faire lever le siège, la ville et le château se rendraient, sauf la vie et les biens des habitans et de la garnison. L’armée écossaise s’avança le 19 juillet jusqu’à Halidon-Hill pour secourir Berwick ; mais elle fut mise en déroute avec une perte considérable, et Berwick ouvrit ses portes à Édouard.
  4. Balliol, dont Froissart parle ici comme d’un simple chevalier, était dès lors reconnu pour roi d’Ecosse par une partie de la nation et par Édouard III.