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[1333]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Or reviendrai aux dessus dits parlements qui furent à Londres sur l’état du royaume d’Escosse.


CHAPITRE LVI.


Comment tout le conseil et le commun d’Angleterre conseillèrent le roi Édouard qu’il allât soumettre le roi d’Escosse, et qu’ils étoient tous désirans d’aller avec lui.


Quand le jour de parlement approcha que le roi Anglois avoit établi, et tout le pays fut assemblé au mandement du roi à Londres, le roi leur fit démontrer comment il avoit requis au roi d’Escosse son serourge qu’il voulût ôter sa main de Bervich qu’il détenoit, et qu’il voulût venir faire hommage à lui de son royaume d’Escosse, ainsi qu’il devoit, et comment le roi d’Escosse avoit répondu à ses messagers. Si pria à tous que chacun le voulût sur ce si conseiller que son honneur y fût gardée. Tous les barons, les chevaliers et les conseils des cités et des bonnes villes, et tout le commun pays, se conseillèrent et rapportèrent leur conseil tous d’un commun accord ; lequel conseil fut tel : que il leur sembloit que le roi ne pouvoit plus porter par honneur les torts que le roi d’Escosse lui faisoit. Ainçois conseillèrent que le roi se pourvût si efforcément qu’il pût ravoir la bonne cité de Bervich, et qu’il pût entrer au royaume d’Escosse si puissamment, qu’il pût si contraindre le roi d’Escosse qu’il fût tout joyeux quand il pourrait venir à son hommage et à satisfaction. Et dirent qu’ils étoient tous désirans d’aller avec lui à son commandement.

Le roi Édouard fut moult joyeux de cette réponse, car il voyoit la bonne volonté de ses gens : si les en regracia moult grandement, et leur pria que chacun fût appareillé selon son état ; et fussent à un jour, qui adonc fut nommé, droit à Neuf-Châtel sur Tyne, pour aller reconquérir les droitures appartenans à son royaume d’Angleterre. Chacun s’abandonna à cette requête et en ralla en son lieu pour lui pourvoir, selon son état ; et le roi se fit pourvoir et appareiller si suffisamment que à telle besogne appartenoit. Si envoya encore autres messages à son dit serourge pour le suffisamment sommer, et après pour défier, s’il étoit autrement conseillé.


CHAPITRE LVII.


Comment le roi anglois entra en Escosse où il ardit et gâta grand’partie d’Escosse et prit plusieurs châteaux et villes qu’il retint pour lui.


Le jour qui dénommé étoit approcha, et vint le roi Édouard atout son ost au Neuf-Châtel[1]. Si attendit par trois jours ses gens qui venoient en suivant l’ost. Au quart jour il s’en partit et s’en alla atout son ost pardevers Escosse, et passa la terre du seigneur de Percy et de celui de Nuefville[2], qui sont deux grands barons en Northonbrelande, et marchissent aux Escots ; et aussi font le sire de Ros, le sire de Lucy et le sire de Moutbray. Si se traist le roi anglois, et tout son ost, pardevers la cité de Bervich ; car autrement n’avoit voulu le roi d’Escosse répondre aux seconds messages qu’il avoit fait aux premiers[3] : si étoit sommé et défié. Tant exploita le roi anglois atout son grand ost qu’il entra en Escosse, et passa la rivière qui départ Escosse et Angleterre[4] ; et n’eut mie conseil de s’arrêter adonc devant Bervich, mais de chevaucher avant et ardoir et exiller le pays, si comme son ayeul avoit fait jadis. Si exploita tant en cette chevauchée qu’il foula grandement toute la plaine d’Escosse, et ardit et exilla moult de villes fermées de fossés et de palis, et prit le fort châtel de Hedaimbourch, et y mit gens et gardiens de par lui, et passa la seconde rivière d’Escosse[5] dessous Eturmelin ; et coururent ses gens tout le pays de là environ, jusques à Saint-Jehanstone[6] et jusques en Abredane[7] ; et ardirent et exillèrent la bonne ville de Dunfremeline : mais ils ne firent nul mal à l’abbaye, car le roi le défendit ; et conquirent tout le pays jusques à Dondie et jusques à Donbreton, un très fort château sur la marche de la sauvage Escosse[8] où le roi étoit retrait et la roine sa femme[9]. Ni nul n’alloit audevant des Anglois ; mais s’étoient mis et retraits tous dedans les forêts de

  1. Édouard dut arriver à Newcastle vers le milieu d’avril 1333.
  2. Nevill.
  3. Ce que Froissart dit du roi d’Écosse, doit s’entendre du régent ; car David Bruce s’était retiré en France dès l’année précédente.
  4. La Tweed.
  5. Le Forth, sur lequel Stirling est situé.
  6. Aujourd’hui Perth. Les traducteurs anglais substituent Scone, ancien palais des rois d’Écosse près de Perth.
  7. Aberdeen.
  8. C’est-à-dire limitrophe des Highlands.
  9. Le roi et la reine étaient alors en France comme ou vient de le remarquer.