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LIVRE I. — PARTIE I.

qui véoit le roi d’Angleterre, son cousin, jeune, entendit bien toutes ces paroles, et ne le voult adonc de rien presser ; car il savoit assez que bien y recouvreroit quand il voudroit, et lui dit : « Mon cousin, nous ne vous voulons pas decevoir, et nous plaît bien ce que vous en avez fait à présent, jusques à tant que vous soyez retourné en votre pays et vu, par les scellés de vos prédécesseurs, quelle chose vous en devez faire. » Le roi d’Angleterre et son conseil répondirent : « Cher sire, grands mercis. »

Depuis se joua, ébatit, et demeura le roi d’Angleterre avec le roi de France en la cité d’Amiens : et quand tant y eut été que bien dût suffire par raison, il prit congé et se partit du roi moult amiablement et de tous les autres princes qui là étoient, et se mit au retour pour revenir en Angleterre, et repassa la mer[1] ; et fit tant par ses journées qu’il vint à Windesore où il trouva la roine Philippe sa femme, qui le reçut liement, et lui demanda nouvelles du roi Philippe son oncle, et de son grand lignage de France. Le roi son mari lui en recorda assez, et du grand état qu’il avoit trouvé, et comment on l’avoit recueilli et festoyé grandement, et des honneurs qui étoient en France, auxquelles faire ni de les entreprendre à faire, nul autre pays ne s’accomparage.


CHAPITRE LIII.


Comment le roi de France envoya en Angleterre de son plus espécial conseil, pour savoir par les registres d’Angleterre comment le dit hommage se devoit faire ; et comment le roi d’Angleterre lui envoya unes lettres, contenant le dit hommage.


Ne demeura guères de temps depuis, que le roi de France envoya en Angleterre, de son plus spécial conseil, l’évêque de Chartres[2] et l’évêque de Beauvais[3], et aussi monseigneur Louis de Clermont, duc de Bourbon[4], le comte de Harcourt[5] et le comte de Tancarville[6], et des autres chevaliers et clercs en droit[7], pour être ès conseils du roi d’Angleterre qui se tenoient à Londres sur l’état que vous avez ouï, ainsi que le roi d’Angleterre, lui revenu en son pays, devoit regarder comment anciennement ses prédécesseurs, de ce qu’ils tenoient en Aquitaine et dont ils s’étoient appelés ducs en avoient fait hommage ; car jà murmuroient les plusieurs en Angleterre que leur sire étoit plus prochain de l’héritage de France que le roi Philippe. Néanmoins le roi d’Angleterre et son conseil ignoroient toutes ces choses ; mais grands parlemens et assemblées sur le dit hommage furent en celle saison en Angleterre ; et y séjournèrent les dessus dits envoyés de par le roi de France, tout l’hiver jusques au mois de mars ensuivant, qu’ils ne pouvoient avoir aucune définitive réponse. Toutes-voies le roi d’Angleterre, par l’avis de ses privilèges auxquels il ajoutoit grand’foi, fut obligé d’escripre ainsi lettres patentes scellées de son grand scel, en reconnaissant l’hommage tel qu’il le doit et devoit adonc faire au roi de France. La teneur de laquelle lettre s’ensuit.

« Édouard, par la grâce de Dieu roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande, duc d’Aquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront ou orront, salut. Savoir faisons : Comme nous faisions à Amiens hommage à excellent prince, notre seigneur et cousin Philippe roi de France, lors nous fut dit et requis de par lui que nous reconnussions le dit hommage être lige, et que en faisant le dit hommage nous lui promissions foi et loyauté porter ; laquelle chose nous ne fîmes pas lors, pour ce que nous étions informés que point ne se devoit ainsi faire ; et fîmes lors au dit roi de France hommage par paroles générales, en disant que nous entrions en son hommage, par ainsi comme nos prédécesseurs ducs d’Aqui-

  1. Il était de retour à Douvres le 11 juin, après une absence de quinze jours en tout ; ainsi il ne demeura point quinze jours à Amiens, comme Froissart l’a dit précédemment.
  2. Jean du Plessis-Pasté, transféré en 1328 de l’évêché d’Arras à celui de Chartres.
  3. Jean de Marigni, frère du malheureux Enguerrand de Marigni, qui avait été pendu sous le règne de Louis-le-Hutin.
  4. C’est pour ce prince que Charles-le-Bel érigea en 1327 la baronnie de Bourbon en duché-pairie.
  5. Jean IV du nom, en faveur de qui la baronnie de Harcourt fut érigée en comté, au mois de mars 1338.
  6. Jean Ier du nom, vicomte de Melun, seigneur de Tancarville, etc., chambellan de France et de Normandie.
  7. Il est probable que ces ambassadeurs partirent avant la fin de l’année 1330. Froissart paraît avoir ignoré les autres événemens de cette année, tels que les mouvemens en Guyenne, qui donnèrent lieu à quelques hostilités et firent craindre une rupture entière, les négociations qui la prévinrent, et autres faits de moindre importance. Son silence est suppléé par les Chroniques de Saint-Denis, le continuateur de Nangis, et surtout par les actes qu’on trouve dans Rymer.