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LIVRE I. — PARTIE I.

fêta le dit roi moult grandement, et leur donna au départir, pour l’honneur et amour du roi de France son cousin, grands dons et beaux joyaux. Depuis ce fait ils ne séjournèrent guères de temps à Londres et s’en partirent ; et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils revinrent en France et droitement à Paris, où ils trouvèrent le roi Philippe, à qui ils contèrent toutes les nouvelles et comment ils avoient exploité, et en quel état ils étoient partis du roi d’Angleterre, et aussi comment grandement et honorablement il les avoit reçus, et à leur département et congé prendre, donné de ses biens. De toutes ces choses et exploits se contenta grandement le roi Philippe ; et dit que moult volontiers verroit le roi Édouard d’Angleterre, son cousin, car oncques ne l’avoit vu.

Ces nouvelles s’épartirent parmi le royaume de France, que le roi d’Angleterre devoit venir en France et faire hommage au dit roi. Si se ordonnèrent et appareillèrent moult richement et très puissamment ducs et comtes de son sang qui le désiroient à voir ; et proprement le roi de France en escripvit au roi de Behaigne et au roi de Navarre, et leur signifia le certain jour que le roi d’Angleterre devoit être devers lui, et leur pria qu’ils y voulsissent être. Ces deux rois, puisque priés en étoient, ne l’eussent jamais laissé ; et s’ordonnèrent au plutôt qu’ils purent, et vinrent en France en grand arroi devers le roi de France. Si fut adonc conseillé qu’il recueilleroit le dit roi d’Angleterre son cousin en la bonne cité d’Amiens. Si fit là faire ses pourvéances grandes et grosses, et administrer salles, chambres, hôtels et maisons pour recevoir lui et toutes ses gens, où il se comptoit parmi le roi de Behaigne et le roi de Navarre, qui étoient de sa délivrance[1], le duc de Lorraine, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon et messire Robert d’Artois, à plus de trois mille chevaux, et le roi d’Angleterre qui y devoit venir à six cents chevaux. Il avoit adonc et a encore à Amiens bien cité pour recevoir aisément autant de princes et leurs gens, et plus encore.

Or parlerons du roi d’Angleterre, et comment il passa la mer et vint cette année, l’an mil trois cent vingt neuf, en France.


CHAPITRE LII.


Comment le roi d’Angleterre vint à Amiens, où il fut honorablement reçu du roi de France et lui fit hommage, mais non mie tout entièrement comme il devoit.


Le jeune roi d’Angleterre ne mit mie en oubli le voyage qu’il devoit faire au royaume de France, et s’appareilla bien et suffisamment, ainsi que à lui appartenoit et à son état. Si se partit d’Angleterre quand jour fut du partir[2]. En sa compagnie avoit deux évêques, celui de Londres[3] et celui de Lincolle, et quatre comtes, monseigneur Henry comte de Derby, son cousin germain, fils messire Thomas de Lancastre au-tort-Col ; son oncle, le comte de Salebrin[4], le comte de Warvich et le comte de Herfort ; six barons, monseigneur Regnaut de Cobeham, monseigneur Thomas Wage, maréchal d’Angleterre, monseigneur Richard de Stanford, le seigneur de Percy, le seigneur de Manne[5], et le seigneur de Moutbray, et plus de quarante autres chevaliers.

Si étoient en la route et à la délivrance du roi d’Angleterre plus de mille chevaux ; et mirent deux jours à passer entre Douvres et Wissant. Quand ils furent outre, et leurs chevaux traits hors des nefs et des vaissiaulx, le roi monta à cheval, accompagné ainsi que je vous ai dit, et chevaucha tant qu’il vint à Boulogne ; et là fut-il un jour. Tantôt nouvelles vinrent au roi Philippe de France et aux seigneurs de France, qui jà étoient à Amiens, que le roi d’Angleterre étoit arrivé et venu à Boulogne. De ces nouvelles eut le roi Philippe grand’joie, et envoya tantôt son connétable[6] et grand’foison de chevaliers devers le roi d’Angleterre, qu’ils trouvèrent à Mons-

  1. C’est-à-dire auxquels il faisait délivrer à ses dépens tout çe qui leur était nécessaire.
  2. Édouard s’embarqua à Douvres, le vendredi 26 mai 1329, vers midi.
  3. Les deux traductions anglaises de lord Berners et de Johnes disent : avec deux évêques, sans compter l’évêque de Londres. Ces deux autres évêques étaient le docteur John Stratford, évêque de Winchester, et le docteur Henry Burwash, évêque de Lincoln.
  4. Guillaume de Montagu ne fut fait comte de Salisbury qu’en 1337, suivant Imhoff, Tab. 56. Froissart a donné, par anticipation, ce titre à Montagu, qui le possédait quand il a écrit son histoire.
  5. Man.
  6. Comme la date précise de la mort de Gaucher de Chatillon, connétable de France, arrivée dans le cours de cette année 1329, n’est pas connue, on ignore si c’est de lui, qu’il s’agit ici, ainsi que l’a pensé du Chesne, ou de Raoul de Brienne, comte d’Eu, qui lui succéda dans la dignité de connétable.