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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dedans l’année, furent eux tous payés de ce que les chevaux montoient.

Quand les Hainuyers eurent délivré leurs chevaux, ils achetèrent chacun de petites haquenées pour chevaucher mieux à leur aise, et renvoyèrent leurs garçons, leurs harnois, sommes, malles, et habits par mer, et mirent tout en deux nefs que le roi leur fit délivrer. Si arrivèrent ces besognes à l’Escluse en Flandre[1] ; et ils prirent congé au roi, à madame la roine sa mère, au comte de Kent, au comte Henry de Lancastre et aux barons, qui grandement les honorèrent ; et les fit le roi accompagner de douze[2] chevaliers et deux cents armures de fer, pour la doute des archers dont ils n’étoient mie assurés ; car il les convenoit passer parmi le pays de l’évêché de Lincolle. Si se partirent messire Jean de Hainaut et sa route toute au conduit dessus-dit, et chevauchèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Douvres. Là montèrent-ils en mer, en nefs et en vaisseaux qu’ils trouvèrent appareillés, et les Anglois se partirent d’eux, qui convoyés les avoient ; et retourna chacun en son lieu ; et les Hainuyers vinrent à Wissant. Là séjournèrent-ils deux jours, en mettant hors leurs chevaux et le demeurant de leurs harnois. Endementres vinrent messire Jean de Hainaut et aucuns chevaliers en pèlerinage à Notre Dame de Boulogne, et depuis s’en retournèrent-ils en Hainaut ; et se départit l’un de l’autre, et se retrait chacun sur son lieu : mais messire Jean s’en vint devers le comte son frère, qui se tenoit à Valenciennes, qui le reçut liement et volontiers ; car moult l’aimoit : et adonc lui recorda le sire de Beaumont toutes nouvelles, si avant qu’il les put savoir, comme celui qui vu les avoit.


CHAPITRE XLV.


Comment les barons et les seigneurs d’Angleterre envoyèrent légats en Hainaut pour parler du mariage de la fille du comte et du roi Édouard.


Ainsi fut cette grande et dure chevauchée départie que le roi Édouard, le premier an de sa création, fit contre les Escots. Ne demeura mie gramment de temps après que ce roi, madame sa mère, le comte de Kent son oncle, le comte Henry de Lancastre, messire Roger de Mortimer, et les autres barons d’Angleterre, qui étoient demeurés du conseil du roi pour lui aider à conseiller et gouverner, eurent avis et conseil de le marier. Si envoyèrent un évêque[3], deux chevaliers bannerets[4], et deux bons clercs à monseigneur Jean de Hainaut, pour lui prier qu’il y voulût bon moyen être, et mettre bon conseil à ce que le jeune roi leur sire fût marié ; parquoi monsieur son frère le comte de Hainaut et de Hollande lui voulût envoyer une de ses filles ; car il l’auroit plus chère que nulle autre, pour l’amour de lui. Le sire de Beaumont fêta et honora ces messages et commissaires du roi anglois quant qu’il put, car bien le savoit faire. Quand bien fêtés les eut, il les mena à Valenciennes pardevers son frère, qui moult honorablement les reçut aussi, et fêta si souverainement bien que longue chose seroit à raconter.

Quand assez fêtés furent, ils firent leurs messages sagement et à point, ainsi que chargé leur étoit. Le comte leur répondit moult courtoisement, par le conseil de monseigneur Jean son frère et de madame la comtesse mère à la demoiselle, et leur dit : que moult grands mercis à monseigneur le roi et à madame la roine et aux seigneurs par quel conseil ils étoient là venus, quand tant leur étoit que de lui faire tel honneur que, pour telle chose, ils avoient si suffisans gens à lui envoyés ; et que moult volontiers s’accorderoit à leur requête, si notre saint père le Pape et sainte église s’y accordoient. Cette réponse leur suffit assez grande-

    Plus enfin on ordre signé par le roi, à Eversham, le 28 juin 1328, pour payer sept mille livres, comme partie des quatorze mille livres qui lui sont dues.

  1. L’Écluse, ou Sluis en langue du pays, est à une dizaine de lieues de Bruges.
  2. Dans les lettres d’Édouard, datées d’Yorck le 20 août, par lesquelles il enjoint aux vicomtes, baillis, etc., de faire fournir à Jean de Hainaut et à sa troupe les voitures et les choses dont ils auront besoin sur la route, il nomme seulement Jean de l’Isle, comme devant l’accompagner et commander l’escorte : mais cette pièce ne contredit point le récit de Froissart ; car il est possible que, dans le nombre des deux cents armures qui composaient l’escorte, il y eût douze chevaliers, quoique le roi ne nomme dans ses lettres que le commandant en chef.
  3. Le docteur Roger Northborough, évêque de Litchfield et de Coventry.
  4. Les chevaliers bannerets étaient autrefois des gentilshommes puissans par leurs possessions territoriales et le nombre de leurs vassaux dont ils formaient des compagnies en temps de guerre. On les appelait bannerets, parce qu’ils avaient droit de porter une bannière. Ils subsistèrent jusqu’à la création des compagnies d’ordonnance par Charles VII.