Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1327]
33
LIVRE I. — PARTIE I.

plus de quatre cents chaudières faites de cuir, atout le poil, pendues sur le feu, pleines de chairs et d’yaue, pour faire bouillir, et plus de mille hastes[1] pleines de pièces de chair pour rôtir, et plus de cinq mille vieux souliers usés, faits de cuir tout cru, atout le poil, que les Escots avoient là laissés. Et trouvèrent cinq povres prisonniers anglois que les Escots avoient liés tous nuds aux arbres, par dépit, et deux qui avoient les jambes brisées : si les délièrent et laissèrent aller, et puis revinrent en l’ost, si à point que chacun se délogeoit et ordonnoit pour raller en Angleterre, par l’accord du roi et de tout son conseil[2].

Si furent tout ce jour les bannières des maréchaux toutes déployées ; et vinrent loger de haute heure en un beau pré où ils trouvèrent assez à fourrager pour leurs chevaux, qui leur vint bien à point, car ils étoient si foibles et si fondus et si affamés qu’à peine pouvoient-ils aller avant. Lendemain, ils se délogèrent et chevauchèrent encore plus avant, et s’en vinrent loger de grand’heure de-lez une grand’cour d’abbaye, à deux lieues près de la cité de Duremmes[3]. Si se logea le roi la nuit en cette cour, et l’ost contre val les prés. Si trouvèrent assez fourrage, qui leur vint bien à point, herbes, vesce et blés. Lendemain, se reposa l’ost là en droit tout coi, et le roi et les seigneurs allèrent vers l’église de Duremmes, et adonc fit le roi féauté à l’église et à l’évêque de Duremmes et aussi aux bourgeois ; car faite ne l’avoit encore. En celle cité trouvèrent-ils leurs charrettes et leurs charretiers et tous leurs harnois qu’ils avoient laissés, vingt sept jours[4] devant, en un bois à mie-nuit, si comme il est contenu ci-dessus ; et les avoient les bourgeois de la cité de Duremmes, qui trouvés les avoient dedans le bois, amenés dedans leur ville à leur coust et fait mettre en granges vuides, chacune charrette atout son penonceau pour les reconnoître. Si furent moult lies tous seigneurs, quand ils eurent trouvé leurs charrettes et leurs harnois ; et reposèrent deux jours dedans la dite cité et l’ost tout autour ; car mie ne se put être logé tout en la dite cité ; et firent leurs chevaux ferrer, et puis se mirent à voie devers Ébruich[5]. Si exploitèrent tant, le roi et tout son ost, que dedans trois jours ils y vinrent ; et là trouva le roi madame sa mère qui le reçut à grand’joie ; et aussi firent toutes ses dames et les bourgeois de la ville. Là donna le roi congé à toutes manières de gens de raller chacun en son lieu ; et remercia grandement les comtes, les barons et les chevaliers, du service qu’ils lui avoient fait ; et retint encore de-lez lui monseigneur Jean de Hainaut et toute sa route qui furent grandement fêtés de madame la roine et de toutes les dames ; et délivrèrent les Hainuyers leurs chevaux, qui tous étoient enfondus et affoulés, au conseil du roi, et fit chacun somme pour lui de ses chevaux morts et vifs et de ses frais. Si en fit le roi sa dette envers monseigneur Jean de Hainaut[6], et le dit messire Jean s’en obligea envers tous les compagnons ; car le roi et son conseil ne purent sitôt recouvrer de tant d’argent que les chevaux montoient ; mais on leur en délivra assez par raison pour payer leurs menus frais, et pour retourner au pays[7] ; et puissedi,

  1. Broches.
  2. Le départ de l’armée anglaise ne peut être antérieur au 8 août ; car le roi était encore ce jour-là à Stanhope.
  3. Durham.
  4. Édouard partit de Durham le 17 juillet au plus tôt pour aller chercher les Écossais, et il était revenu au plus tard le 15 d’août à Yorck.
  5. Yorck.
  6. Édouard donna ordre à son trésorier et à ses chambellans, par ses lettres datées d’Yorck, le 20 août, de payer à Jean de Hainaut, dès qu’il serait arrivé à Londres, quatorze mille livres, tant pour ses gages et ceux des Hainuyers, que pour le prix de leurs chevaux. Ce que dit ensuite Froissart, qu’on ne put ramasser assez d’argent pour payer à Jean de Hainaut tout ce qui lui était dû, peut être vrai à la rigueur ; cependant Édouard avait tant à cœur d’acquitter cette dette qu’il ordonna, par les mêmes lettres, que si l’argent manquait, on mît en gage de ses joyaux jusqu’à la concurrence de quatre mille livres qu’il s’était engagé à payer.
  7. On trouve dans Rymer un ordre du roi Édouard à son trésorier, pour qu’il eût à payer sept mille livres sterling à compte, sur les quatorze mille auxquelles montait le subside convenu pour lui et ses compagnons. Cet ordre est daté d’Yorck, 28 juin 1327.

    La même année, le 4 juillet, William d’Irland reçoit l’ordre de préparer des voitures pour sire Jean de Hainaut et sa suite. Cet ordre devait être valable jusqu’à la Saint-Michel suivante.

    On trouve un autre ordre au trésorier, daté d’Yorck, 20 août 1327, pour payer à sire Jean de Hainaut, à son arrivée à Londres, quatre mille livres sterling, comme indemnité de la perte de ses chevaux, et pour mettre même en gage les joyaux de la couronne, s’il n’y a pas assez d’argent dans le trésor.

    Plus un passe-port de la même date ordonnant à chacun de ne faire aucune insulte à sire Jean de Hainaut.