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Comme les vieux guerriers trempaient dans l’eau marine
Leurs membres pour les rendre invincibles et forts,
Je tremperai mon cœur et toute ma poitrine
Dans le Léthé, le fleuve oublieux, cher aux morts ;

Et quand j’aurai longtemps laissé choir dans l’eau sombre
Tous les pensers dont mon amour était empli,
Les hontes, les regrets et les remords sans nombre,
Et quand je serai plein de l’immortel oubli,

Quand j’aurai tout perdu, jusqu’à la souvenance
Des baisers et du nom de celle que j’aimais,
Alors j’apparaîtrai pur et plein d’espérance,
Et dispos à gravir les plus âpres sommets.

C’est l’ordre : Il faut briser d’abord l’Amour, ce tendre
Et subtil ennemi dont nous seuls triomphons,
Pour planer au-dessus des mondes et prétendre
Aux sereines splendeurs des firmaments profonds.

L’Amour est un sépulcre où l’Homme encor tout jeune
Ensevelit sa force et sa virginité,
Où la Vierge aux seins nus qu’a lassée un long jeûne
Se jette tout entière ivre de volupté.