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C’est ainsi que je me décrivais cette scène dont j’avais une représentation visuelle plastique et dont je n’arrivais pas à saisir la signification. Mon frère voulait-il ouvrir ou fermer le coffre (dans la première description du tableau il s’agissait d’une « armoire » ) ? Pourquoi ai-je pleuré à ce propos ? Quel rapport y avait-il entre tout cela et l’arrivée de ma mère ? Autant de questions auxquelles je ne savais quoi répondre. J’étais porté à m’expliquer cette scène, en supposant qu’il s’agissait du souvenir d’une frasque de mon frère, interrompue par l’arrivée de ma mère. Il n’est pas rare de voir ainsi attribuer une fausse signification à des scènes d’enfance conservées dans la mémoire : on se rappelle bien une situation, mais cette situation est dépourvue de centre et on ne sait à quel élément on doit attribuer la prépondérance psychique. Le travail analytique m’a conduit à une conception tout à fait inattendue de ce tableau. M’étant aperçu de l’absence de ma mère, j’avais soupçonné qu’elle était enfermée dans le coffre (ou dans l’armoire) et j’avais exigé de mon frère d’en soulever le couvercle. Lorsqu’il eut accédé à ma demande et que je me fus assuré que ma mère n’était pas dans le coffre, je me suis mis à crier. Tel est le moment retenu par la mémoire ; il a été suivi aussitôt de l’apparition de ma mère et de l’apaisement de mon inquiétude et de ma tristesse. Mais comment l’enfant en est-il venu à l’idée de chercher la mère dans le coffre ? Des rêves datant de la même époque évoquent vaguement dans ma mémoire l’image d’une bonne d’enfants dont j’avais conservé encore d’autres réminiscences, celle par exemple qu’elle avait l’habitude de m’engager consciencieusement à lui remettre la petite monnaie que je recevais en cadeau, détail qui, à son tour, pouvait seulement servir de « souvenir de couverture » se rapportant à des faits ultérieurs. Aussi me décidai-je, afin de me faciliter cette fois le travail d’interprétation, à questionner ma vieille mère, au sujet de cette bonne d’enfants.