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On peut, d’une façon générale, distinguer deux variétés principales d’oublis de noms : un nom est oublié ou parce qu’il rappelle lui-même une chose désagréable, ou parce qu’il se rattache à un autre, susceptible de provoquer un sentiment désagréable. Donc, la reproduction de noms est troublée soit à cause d’eux-mêmes, soit à cause de leurs associations plus ou moins éloignées.

Un coup d’œil sur ces propositions générales permet de comprendre pourquoi l’oubli passager de noms constitue un de nos actes manqués les plus fréquents. Nous sommes cependant loin d’avoir noté toutes les particularités du phénomène en question. Je veux encore attirer l’attention sur ce fait que l’oubli de noms est contagieux au plus haut degré. Dans une conversation entre deux personnes, il suffit que l’une prétende avoir oublié tel ou tel nom, pour que le même nom échappe à l’autre. Seulement la personne, chez laquelle l’oubli est un phénomène induit, retrouve plus facilement le nom oublié. Cet oubli « collectif » qui, rigoureusement parlant, est un des phénomènes par lesquels se manifeste la psychologie des masses, n’a pas encore fait l’objet de recherches psychanalytiques. M. Th. Reik a pu donner une bonne explication de ce remarquable phénomène, à propos d’un seul cas, particulièrement beau[1].

« Dans une petite société d’universitaires, dans laquelle se trouvaient également deux étudiantes en philosophie, on parlait des nombreuses questions qui se posent à l’histoire de la civilisation et à la science des religions à propos des origines du christianisme. Une des jeunes femmes, qui avait pris part à la conversation, se souvint avoir trouvé, dans un roman anglais qu’elle avait lu récemment, un tableau intéressant des courants religieux qui agitaient cette

  1. Th. Reik. — « Über Kollektives Vergessen. » — Internat. Zeitschr. f. Psychoanalyse, VI, 1920.