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suivis de malheurs et que les malheurs n’ont jamais été précédés de pressentiments. Lorsque, jeune homme, j’habitais une grande ville étrangère, seul et loin des miens, il m’a souvent semblé entendre subitement prononcer mon nom par une voix connue et chère et je notais le moment précis où s’était produite l’hallucination pour me renseigner auprès des miens sur ce qui s’était passé chez eux à ce moment-là. On me répondait chaque fois qu’il ne s’était rien passé. En revanche, il m’est arrivé plus tard de causer tranquillement et sans le moindre pressentiment avec un malade, pendant que mon enfant était sur le point de mourir d’une hémorragie. Aucun des pressentiments, d’ailleurs, dont m’ont fait part mes malades n’a jamais pu acquérir à mes yeux la valeur d’un phénomène réel.

La croyance aux rêves prophétiques compte beaucoup de partisans, parce qu’elle peut s’appuyer sur le fait que beaucoup de choses revêtent plus tard dans la réalité l’aspect que le désir leur avait donné pendant le rêve. A cela il n’y a rien d’étonnant, et d’ailleurs la crédulité des rêveurs néglige très volontiers les écarts souvent considérables qui existent entre la chose rêvée et la chose réalisée. Une malade intelligente et ayant horreur du mensonge a livré un jour à mon analyse un bel exemple d’un rêve qu’on peut avec raison qualifier de prophétique. Elle a rêvé avoir rencontré, devant tel magasin, situé dans telle rue, son ancien ami et médecin ; or, ayant le lendemain matin une course à faire dans le centre de la ville, elle rencontre effectivement ce monsieur à l’endroit précis où elle l’avait vu dans le rêve. Je lui fais remarquer que cette singulière coïncidence est restée sans aucun rapport avec les événements de sa vie ultérieure, qu’il était donc impossible de lui trouver une justification dans les faits qui l’ont suivie.

D’après ce qu’un examen attentif a permis d’établir, rien ne prouvait que la dame se soit souvenue