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monde extérieur. L’obscure connaissance[1] des facteurs et faits psychiques de l’inconscient (autrement dit : la perception endopsychique de ces facteurs et faits) se reflète (il est difficile de le dire autrement, l’analogie avec la paranoïa devant ici être appelée au secours) dans la construction d’une réalité suprasensible, que la science retransforme en une psychologie de l’inconscient. On pourrait se donner pour tâche de décomposer, en se plaçant à ce point de vue, les mythes relatifs au paradis et au péché originel, à Dieu, au mal et au bien, à l’immortalité etc… et de traduire la métaphysique en métapsychologie. La distance qui sépare le déplacement opéré par le paranoïaque de celui opéré par le superstitieux est moins grande qu’elle n’apparaît au premier abord. Lorsque les hommes ont commencé à penser, ils furent obligés de résoudre anthropomorphiquement le monde en une multitude de personnalités faites à leur image ; les accidents et les hasards qu’ils interprétaient superstitieusement étaient donc à leurs yeux des actions, des manifestations de personnes ; autrement dit, ils se comportaient exactement comme les paranoïaques, qui tirent des conclusions du moindre signe fourni par d’autres, et comme se comportent tous les hommes sains qui, avec raison, formulent des jugements sur le caractère de leurs semblables en se basant sur leurs actions accidentelles et non-intentionnelles. Dans notre conception du monde moderne, conception scientifique, et qui est encore loin d’être achevée dans toutes ses parties, la superstition apparaît donc quelque peu déplacée ; mais elle était justifiée dans la conception des époques préscientifiques, puisqu’elle en était un complément logique.

Le Romain, qui renonçait à un important projet, parce qu’il venait de constater un vol d’oiseaux défavorable, avait donc relativement raison ; il agissait conformément à ses prémisses. Mais lorsqu’il renonçait

  1. Qu’il ne faut pas confondre avec la connaissance vraie.