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avoir remarqué qu’elle ne se manifeste pas dans les grandes et importantes décisions ; dans ces occasions, on éprouve plutôt le sentiment d’une contrainte psychique, et on en convient : « j’en suis là ; je ne puis faire autrement ». Lorsqu’il s’agit, au contraire, de résolutions insignifiantes, indifférentes, on affirme volontiers qu’on aurait pu tout aussi bien se décider autrement, qu’on a agi librement, qu’on a accompli un acte de volonté non motivé. Nos analyses ont montré qu’il n’est pas nécessaire de contester la légitimité de la conviction concernant l’existence du libre arbitre. La distinction entre la motivation consciente et la motivation inconsciente une fois établie, notre conviction nous apprend seulement que la motivation consciente ne s’étend pas à toutes nos décisions motrices. Minima non curat praetor. Mais ce qui reste ainsi non motivé d’un côté, reçoit ses motifs d’une autre source, de l’inconscient, et il en résulte que le déterminisme psychique se présente sans solution de continuité[1].

III. Bien que la connaissance de la motivation des actes manqués dont nous nous sommes occupés échappe ainsi à la pensée consciente, il serait désirable de découvrir une preuve psychologique de l’existence de cette motivation. Et, même, une connaissance plus approfondie de l’inconscient nous autorise à admettre

  1. Ces idées sur la rigoureuse détermination d’actes psychiques arbitraires en apparence ont déjà donné de très beaux résultats en psychologie et, peut-être, aussi en droit. Bleuler et Jung se sont placés à ce point de vue pour rendre compréhensibles les réactions qui se produisent au cours de l’expérience dite d’association, expérience pendant laquelle la personne examinée répond à un mot prononcé devant elle par un autre mot qui lui vient à l’esprit à cette occasion (excitation et réaction verbales), le temps s’écoulant entre l’excitation et la réaction étant mesuré. Jung a montré dans ses Diagnostische Assoziationsstudien (1906) quel réactif sensible pour les états psychiques présente l’expérience d’association ainsi interprétée. Deux élèves du criminaliste H. Gross (de Prague), Wertheimer et Klein, ont fondé sur ces expériences une technique du « diagnostic de la question de fait » dans les cas d’actes criminels, technique dont l’examen préoccupe actuellement psychologues et juristes.