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— Beaucoup de choses se sont passées depuis la dernière fois.

— Oui, et je croyais que tout était fini entre nous.

— Comment cela ?

— Tous les petits objets que j’ai reçus de toi se sont brisés et cassés, et cela d’une façon mystérieuse. Mais c’est connu depuis longtemps.

— Que dis-tu ? Je me rappelle maintenant une foule de cas que je considérais comme de simples effets du hasard. Un jour j’ai reçu de ma grand’mère un pince-nez ; c’était à l’époque où nous étions encore bonnes amies. Les verres étaient en cristal de roche taillé et m’étaient très utiles lorsque je pratiquais des autopsies ; ce pince-nez était une véritable merveille que je gardais soigneusement. Un jour je rompis avec la vieille et elle devint en colère contre moi. Or, à la première autopsie qui suivit cette brouille, les verres tombèrent de leur monture, sans cause aucune. Je croyais qu’il s’agissait d’un accident des plus simples. Je fis donc réparer le pince-nez. Mais il continua de me refuser son service. Je l’ai fourré dans un tiroir et ne sais plus ce qu’il est devenu.

— Bizarre ! Ce sont les objets se rapportant aux yeux qui sont les plus sensibles. J’avais reçu d’un ami une lorgnette de théâtre ; elle était tellement bien adaptée à mes yeux que m’en servir était pour moi un véritable plaisir. Un jour, l’ami et moi sommes devenus ennemis. Tu sais, cela arrive, sans cause apparente ; l’un trouve tout à coup qu’on a tort de rester unis. Voulant me servir, la première fois après cet événement, de ma lorgnette, je n’arrivai pas à voir clair. Je trouvais les deux verres trop rapprochés et je voyais deux images. Inutile de te dire qu’il n’en était rien : les verres n’étaient pas plus rapprochés et l’écartement de mes yeux n’avait pas augmenté. C’était un de ces miracles qui s’accomplissent tous les jours et qu’un mauvais observateur n’aperçoit pas. L’explication ? La force psychique de la haine est plus