Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre eux, occasions dont chacun déclinera la responsabilité avec la même énergie avec laquelle il l’attribuera à l’autre. C’est là le châtiment pour notre manque de sincérité intérieure : sous le masque de l’oubli et de la méprise, en invoquant pour leur justification l’absence de mauvaise intention, les hommes expriment des sentiments et des passions dont ils feraient bien mieux d’avouer la réalité, en ce qui concerne aussi bien eux-mêmes que les autres, dès l’instant où ils ne sont pas à même de les dominer. On peut, en effet, affirmer d’une façon générale que chacun se livre constamment à l’analyse psychique de ses prochains qu’il finit ainsi par connaître mieux qu’il ne se connaît lui-même. Pour se conformer au précepte γνωθι σεαθτον, il faut commencer par l’étude de ses propres actions et omissions, accidentelles en apparence.

De tous les poètes qui ont eu à se prononcer sur les petites actions symptomatiques ou actions manquées, ou ont eu à s’en servir, il en est peu qui aient aussi bien entrevu leur nature cachée et projeté une lueur aussi lugubre sur les situations qu’elles créent que le fit Strindberg, dont le génie a été d’ailleurs aidé dans ce travail par son propre état psychique, profondément anormal.

Le Dr Karl Weiss (de Vienne) a attiré l’attention sur le passage suivant d’un de ses ouvrages. (Internat. Zeitschr. f. Psychoanal., I, 1913, p. 268.)

« Au bout d’un instant, le comte arriva en effet et s’approcha tranquillement d’Esther, comme s’il lui avait donné rendez-vous.

— Attends-tu depuis longtemps ? demanda-t-il d’une voix sourde.

— Depuis six mois, tu le sais, répondit Esther. Mais m’as-tu vue aujourd’hui ?

— Oui, tout à l’heure, dans le tramway ; et je te regardais dans les yeux, au point que je croyais te parler.