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Voici quelques exemples à l’appui de ces propositions concernant la perte d’objets :

    quitter l’hôpital. En revenant, il fut tout étonné d’apercevoir de la lumière dans sa chambre. Il avait oublié, chose qui ne lui était jamais arrivé auparavant, d’éteindre la lumière en sortant. Mais il ne tarda pas à découvrir la raison de cet oubli : le directeur de l’hôpital voyant de la lumière dans la chambre de son interne ne pouvait pas se douter que celui-ci fût absent. — Un homme accablé de soucis et sujet à des accès de profonde dépression m’assurait qu’il trouvait régulièrement sa montre arrêtée le matin, lorsqu’il lui arrivait de se coucher la veille avec un sentiment de lassitude qui lui faisait apparaître la vie sous les couleurs les plus sombres. Par son oubli de remonter sa montre il exprime donc symboliquement qu’il lui est indifférent de se réveiller ou non le lendemain. — Un autre homme, que je ne connais pas personnellement, m’écrit : « A la suite d’un grand malheur, la vie m’avait paru tellement dure et hostile que j’en étais arrivé à me dire tous les jours que je n’aurais pas assez de force pour vivre un jour de plus ; aussi avais-je fini par oublier de remonter ma montre, chose qui ne m’était jamais arrivé auparavant, car c’était là un acte que j’accomplissais presque machinalement tous les soirs, avant de me mettre au lit. Je ne me souvenais plus de cette habitude que très rarement, lorsque j’avais le lendemain une affaire importante ou qui m’intéressait particulièrement. Serait-ce également une action symptomatique ? Je ne pouvais pas m’expliquer cet oubli, » — Celui qui, comme Jung (Ueber die Psychologie der Dementia praecox, p. 62, 1907) ou comme Maeder (Une voie nouvelle en psychologie : Freud et son école, Coenobium, Lugano, 1909) veut bien se donner la peine de prêter attention aux airs que, sans le vouloir et souvent sans s’en apercevoir, telle ou telle personne fredonne, trouvera presque toujours qu’il existe un rapport entre le texte de la chanson et un sujet qui préoccupe la personne en question.
      Le déterminisme plus profond qui préside à l’expression de nos pensées par la parole ou par l’écriture mériterait également une sérieuse étude. On se croit en général libre de choisir les mots et les images pour exprimer ses idées. Mais une observation plus attentive montre que ce sont souvent des considérations étrangères aux idées qui décident de ce choix et que la forme dans laquelle nous coulons nos idées révèle souvent un sens plus profond, dont nous ne nous rendons pas compte nous-mêmes. Les images et les manières de parler dont une personne se sert de préférence sont loin d’être indifférentes, lorsqu’il s’agit de se former un jugement sur cette personne ; certaines de ces images et manières de parler sont souvent des allusions à des sujets qui, tout en restant à l’arrière-plan, exercent une influence puissante sur celui qui parle. Je connais quelqu’un qui, à une certaine époque, se servait à chaque instant, même dans des conversations abstraites, de l’expression suivante : « lorsque quelque chose traverse tout à coup la tête de quelqu’un. » Or, je savais que celui qui parlait ainsi avait reçu, peu de temps auparavant, la nouvelle qu’un projectile russe avait traversé d’avant en arrière le bonnet de campagne que son fils, soldat combattant, avait sur la tête.