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attend un prétexte qui se substituera à une partie des causes réelles et véritables et qui, détournant les forces de défense de la personne, la débarrassera de la pression qu’exercent sur elle ces causes[1]. Les considérations que je développe ici sont loin d’être oiseuses. Je connais plus d’un soi-disant « accident » malheureux (chute de cheval ou de voiture) qui, analysé de près et étant donné les circonstances dans lesquelles il s’est produit, autorise l’hypothèse d’un suicide inconsciemment consenti. C’est ainsi, par exemple, que pendant une course de chevaux, un officier tombe de sa monture et se blesse si gravement qu’il meurt quelques jours après. Son attitude, après qu’il fût revenu à lui, était tout à fait bizarre. Mais encore plus bizarre était son attitude avant la chute. Il était profondément déprimé à la suite de la mort de sa mère qu’il adorait, était pris brusquement de crises de larmes, même lorsqu’il se trouvait dans la société de ses camarades, voulait quitter le service pour s’en aller en Afrique prendre part à une guerre qui, au fond, ne l’intéressait pas du tout[2]. Cavalier accompli, il évitait depuis

  1. En dernière analyse, ce cas ressemble tout à fait à celui de l’attentat sexuel contre une femme, attentat contre lequel la femme est incapable de se défendre par sa force musculaire, parce que cette force est neutralisée en partie par les instincts inconscients de la victime. Ne dit-on pas que, dans ces situations, les forces de la femme se trouvent paralysées ? Mais on devrait ajouter encore les raisons pour lesquelles elles sont paralysées. A ce point de vue, le jugement spirituel, prononcé par Sancho Pansa en sa qualité de gouverneur de son île, n’est pas psychologiquement exact (Don Quichotte, IIe partie, chap. xlv). Une femme traîne devant le juge un homme qui, prétend-elle, lui aurait ravi son honneur. Sancho la dédommage, en lui remettant une bourse pleine d’or qu’il enlève au prévenu et permet à celui-ci, après le départ de la femme, de courir après elle pour tenter de lui enlever cette bourse. L’homme et la femme reviennent en luttant, et celle-ci se vante que le forcené n’a pas été capable de la dépouiller de la bourse. A quoi Sancho d’observer : « Si tu avais mis à défendre ton honneur la moitié de l’acharnement que tu mets à défendre ta bourse, tu serais encore une honnête femme. »
  2. On comprend fort bien que le champ de bataille offre à l’intention de suicide consciente, mais craignant la voie directe, les conditions se prêtant le mieux à sa réalisation. Rappelez-vous ce que le chef suédois dit dans Wallenstein au sujet de la mort de Max Piccolomini : « On dit qu’il voulait mourir. »