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et j’en fournirai un jour la preuve, en publiant des exemples bien élucidés, que beaucoup de lésions en apparence accidentelles qui affectent ces malades, ne sont que des mutilations volontaires ; c’est qu’il existe chez ces malades une tendance à s’infliger des souffrances, comme s’ils avaient des fautes à expier, et cette tendance, qui tantôt affecte la forme de reproches adressés à soi-même, tantôt contribue à la formation de symptômes, sait utiliser habilement une situation extérieure accidentelle ou l’aider à produire l’effet mutilant voulu. Ces faits ne sont pas rares, même dans les cas de gravité moyenne et ils révèlent l’intervention d’une intention inconsciente par un certain nombre de traits particuliers, comme, par exemple, l’étonnant sang-froid que ces malades gardent en présence des prétendus accidents malheureux[1].

Je ne citerai en détail qu’un seul exemple provenant de mon expérience personnelle : une jeune femme tombe de voiture et se casse l’os d’une jambe. La voilà alitée pendant plusieurs semaines, mais elle étonne tout le monde par l’absence de toute manifestation douloureuse et par le calme imperturbable qu’elle garde. Cet accident a servi de prélude à une longue et grave névrose dont elle a été guérie par la psychanalyse. Au cours du traitement, je me suis informé aussi bien sur les circonstances ayant accompagné l’accident que sur certaines impressions qui l’ont précédé. La jeune femme se trouvait avec son mari, très jaloux, dans la propriété d’une de ses sœurs, mariée elle-même, et en compagnie de plusieurs autres sœurs et frères, avec leurs maris et leurs femmes. Un soir, elle offrit à ce cercle intime une représentation, en se

  1. La mutilation volontaire, qui ne vise pas à la destruction complète, n’a, dans l’état actuel de notre civilisation, pas d’autre choix que de se dissimuler derrière un accident ou de s’affirmer, en simulant une maladie spontanée. Autrefois l’auto-mutilation était une expression universellement adoptée de la douleur ; à d’autres époques elle pouvait servir d’expression aux idées de piété et de renoncement au monde.