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Cet incident a été interprété par celui qui en a été victime comme un affront voulu; mais l'autre n'y a vu qu'un hasard pénible, autorisant la supposition erronée du premier. Après avoir cependant lu la « Psychopathologie » de Freud, le commandant a pu se faire une idée exacte de ce qui était arrivé. »

C'est encore par un conflit entre un devoir conventionnel et une appréciation interne non avouée que s'expliquent les cas où l'on oublie d'accomplir des actions qu'on avait promis d'accomplir au profit d'un autre. Il arrive alors généralement que le bienfaiteur est le seul à voir dans l'oubli qu'il invoque une excuse suffisante, alors que le solliciteur pense sans doute, et non sans raison : « il n'avait aucun intérêt à faire ce qu'il m'avait promis, autrement il ne l'aurait pas oublié. » Il y a des hommes qu'on considère généralement comme ayant l'oubli facile et qu'on excuse de la même manière dont on excuse les myopes, lorsqu'ils ne saluent pas dans la rue[1]. Ces personnes oublient toutes les petites promesses qu'elles ont faites, ne s'acquittent d'aucune des commissions dont on les a chargées, se montrent peu sûres dans les petites choses et prétendent qu'on ne doit pas leur en vouloir de ces petits manquements qui s'expliqueraient, non par leur caractère, mais par une certaine particularité organique[2]. Je ne fais pas partie moi-même de cette

  1. Les femmes, qui ont une intuition plus profonde des processus psychiques inconscients, sont généralement portées à se considérer comme offensées, lorsqu’on ne les reconnaît pas dans la rue, c’est-à-dire lorsqu’on ne les salue pas. Elles ne pensent jamais en premier lieu coupable peut n’être que myope ou qu’il ne les a pas aperçues, parce qu’il était plongé dans ses réflexions. Elles se disent qu’on les aurait certainement aperçues, si on les estimait davantage.
  2. M. S. Ferenczi raconte qu’il a été autrefois très « distrait » et qu’il étonnait tous ceux qui le connaissaient par la fréquence et l’étrangeté de ses actions manquées. Mais cette « distraction » a presque complètement disparu, depuis qu’il s’est adonné au traitement psychanalytique de malades, ce qui l’a obligé de prêter aussi son attention à l’analyse de son propre moi. Il pense qu’on renonce aux actes manqués, lorsqu’on se sent chargé d’une responsabilité plus grande. Aussi considère-t-il avec raison la distraction comme un état entretenu par des complexes