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domaines dans lesquels on n’en tient pas encore suffisamment compte, sans parler des cas où elle n’est pas du tout prise en considération. C’est ainsi qu’à mon avis on n’y attache pas encore l’importance qu’elle mérite dans l’utilisation des témoignages en justice[1] et qu’on attribue aux témoignages faits sous la foi du serment une action trop purificatrice sur le jeu des forces psychiques du témoin. Tout le monde admet qu’en ce qui concerne les traditions et l’histoire légendaire d’un peuple on doit tenir compte, si l’on veut bien les comprendre, d’un motif de ce genre, c’est-à-dire du désir de faire disparaître du souvenir du peuple tout ce qui blesse et choque son sentiment national. Une étude plus approfondie permettra peut-être un jour d’établir une analogie complète entre la manière dont se forment les traditions populaires et celle dont se forment les souvenirs d’enfance de l’individu. Le grand Darwin, qui a très bien compris que l’oubli ne constitue le plus souvent qu’une réaction contre le sentiment pénible ou désagréable lié à certains souvenirs, a tiré de cette conception ce qu’il a appelé la « règle d’or » de la probité scientifique[2].

De même que l’oubli de noms, l’oubli d’impressions peut s’accompagner de faux souvenirs qui, dans les cas où le sujet les considère comme des expressions de la vérité, sont désignés sous le nom d’illusions mnémiques. Ces illusions de la mémoire, de nature pathologique — et dans la paranoïa elles jouent précisément le rôle d’un élément constitutif de la

  1. Cfr. Hans Gros, Kriminalpsychologie, 1898.
  2. Darwin sur l’oubli. Dans l’autobiographie de Darwin, on trouve le passage suivant dans lequel se reflètent admirablement et sa probité scientifique et sa perspicacité psychologique : « J’ai, pendant de nombreuses années, suivi une règle d’or : chaque fois notamment que je me trouvais en présence d’un fait publié, d’une observation ou d’une idée nouvelle, qui étaient en opposition avec les résultats généraux obtenus par moi-même, je prenais soin de le noter fidèlement et immédiatement, car je savais par expérience que les idées et les faits de ce genre disparaissent plus facilement de la mémoire que ceux qui nous sont favorables. »