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adressé des menaces de mort au fils d’un professeur de l’Université de cette ville qui jusqu’alors avait été son meilleur ami. Il attribuait à cet ancien ami des intentions vraiment diaboliques et une puissance démoniaque. Il l’accusait de tous les malheurs qui, au cours des dernières années, avaient frappé sa famille, de toutes les infortunes familiales et sociales. Mais non content de cela, le méchant ami et son père le professeur se seraient encore rendus responsables de la guerre et auraient appelé les Russes dans le pays. Notre malade aurait mille fois risqué sa vie, et il est persuadé que la mort du malfaiteur mettrait fin à tous les malheurs. Et pourtant, son ancienne tendresse pour ce malfaiteur est encore tellement forte que sa main se trouva comme paralysée le jour où il eu l’occasion d’abattre son ennemi d’un coup de revolver. Au cours des brefs entretiens que j’ai eus avec le malade, j’ai appris que les relations amicales entre les deux hommes dataient de leurs premières années de collège. Une fois au moins ces relations avaient dépassé les bornes de l’amitié : une nuit passée ensemble avait abouti à un rapport sexuel complet. Notre malade n’a jamais éprouvé à l’égard des femmes un sentiment en rapport avec son âge et avec le charme de sa personnalité. Il avait été fiancé à une jeune fille jolie et distinguée, mais celle-ci, avant constaté que son fiancé n’éprouvait pour elle aucune tendresse, rompit les fiançailles. Plusieurs années plus tard, sa maladie s’était déclarée au moment même où il avait réussi pour la première fois à satisfaire complètement une femme. Celle-ci l’ayant embrassé avec reconnaissance et abandon, il éprouva subitement une douleur bizarre, on aurait dit un coup de couteau lui sectionnant le crâne. Il expliqua plus tard cette sensation en disant qu’il ne pouvait la comparer qu’à la sensation qu’on éprouverait si on vous faisait sauter la boîte crânienne, pour mettre à nu le cerveau, ainsi qu’on le fait dans les autopsies ou les vastes trépanations ; et comme son ami s’était spécialisé dans l’anatomie pathologique, il découvrit peu à peu que celui-là avait bien pu lui envoyer cette femme pour le tenter. À partir de ce moment-là, ses yeux s’étaient ouverts, et il comprit que toutes les autres persécutions auxquelles il était en butte étaient le fait de son ancien ami.