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de vue d’une organisation matrimoniale pré-monogamique, comme un renoncement aux droits que chacun pouvait ou croyait avoir sur la fiancée. À cette partie de son cérémonial se rattachaient, chez notre jeune fille, un souvenir et plusieurs idées. Étant enfant, elle tomba, pendant qu’elle avait à la main un vase en verre ou en terre, et se fit au doigt une blessure qui saigna abondamment. Devenue jeune fille et ayant eu connaissance des faits se rattachant aux relations sexuelles, elle fut obsédée par la crainte angoissante qu’elle pourrait ne pas saigner pendant sa nuit de noces, ce qui ferait naître dans l’esprit de son mari des doutes quant à sa virginité. Ses précautions contre le bris des vases constituent donc une sorte de protestation contre tout le complexe en rapport avec la virginité et l’hémorragie consécutive aux premiers rapports sexuels, une protestation aussi bien contre la crainte de saigner que contre la crainte opposée, celle de ne pas saigner. Quant aux précautions contre le bruit, auxquelles elle subordonnait ces mesures, elle n’avaient rien, ou à peu près rien, à voir avec celles-ci.

Elle révéla le sens central de son cérémonial un jour où elle eut la compréhension subite de la raison pour laquelle elle ne voulait pas que l’oreiller touchât au bois de lit : l’oreiller, disait-elle, est toujours femme, et la paroi verticale du lit est homme. Elle voulait ainsi, par une sorte d’action magique, pourrions-nous dire, séparer l’homme et la femme, c’est-à-dire empêcher ses parents d’avoir des rapports sexuels. Longtemps avant d’avoir établi son cérémonial, elle avait cherché à atteindre le même but d’une manière plus directe. Elle avait simulé la peur ou utilisé une peur réelle pour obtenir que la porte qui séparait la chambre à coucher des parents de la sienne fût laissée ouverte pendant la nuit. Et elle avait conservé cette mesure dans son cérémonial actuel. Elle s’offrait ainsi l’occasion d’épier les parents et, à force de vouloir profiter de cette occasion, elle s’était attiré une insomnie qui avait duré plusieurs mois. Non contente de troubler ainsi ses parents, elle venait de temps à autre s’installer dans leur lit, entre le père et la mère. Et c’est alors que l’ « oreiller » et le « bois de lit » se trouvaient réellement séparés. Lorsqu’elle eut enfin grandi, au point de ne plus pouvoir coucher avec ses