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caractère repoussant des désirs censurés des rêves, mais pour vous rabattre sur l’argument d’après lequel il serait invraisemblable que le mal occupe une si large place dans la constitution de l’homme. Mais vos propres expériences vous autorisent-elles à vous servir de cet argument ? Je ne parle pas de l’opinion que vous pouvez avoir de vous-mêmes ; mais vos supérieurs et vos concurrents ont-ils fait preuve à votre égard de tant de bienveillance, vos ennemis se sont-ils montrés à votre égard assez chevaleresques et avez-vous constaté chez les gens qui vous entourent si peu de jalousie, pour que vous croyiez de votre devoir de protester contre la part que nous assignons au mal égoïste dans la nature humaine ? Ne savez-vous donc pas à quel point la moyenne de l’humanité est incapable de dominer ses passions, dès qu’il s’agit de la vie sexuelle ? Ou ignorez-vous que tous les excès et toutes les débauches dont nous rêvons la nuit sont journellement commis (dégénérant souvent en crimes) par des hommes éveillés ? La psychanalyse fait-elle autre chose que confirmer la vieille maxime de Platon que les bons sont ceux qui se contentent de rêver ce que les autres, les méchants, font en réalité ?

Et maintenant, vous détournant de l’individuel, rappelez-vous la grande guerre qui vient de dévaster l’Europe et songez à toute la brutalité, à toute la férocité et à tous les mensonges qu’elle a déchaînés sur le monde civilisé. Croyez-vous qu’une poignée d’ambitieux et de meneurs sans scrupules aurait suffi à déchaîner tous ces mauvais esprits sans la complicité de millions de menés ? Auriez-vous le courage, devant ces circonstances, de rompre quand même une lance en faveur de l’exclusion du mal de la constitution psychique de l’homme ?

Vous me direz que je porte sur la guerre un jugement unilatéral ; que la guerre a fait ressortir ce qu’il y a dans l’homme de plus beau et de plus noble : son héroïsme, son esprit de sacrifice, son sentiment social. Sans doute ; mais ne vous rendez pas coupables de l’injustice qu’on a souvent commise à l’égard de la psychanalyse en lui reprochant de nier une chose, pour la seule raison qu’elle en affirme une autre. Loin de nous l’intention de nier les nobles tendances de la nature humaine, et nous n’avons rien fait pour en rabaisser la valeur. Au contraire.